Le prestataire qui fait croire au trésorier d’un CE qu’il peut utiliser le budget de fonctionnement pour régler un service se rapportant aux activités sociales et culturelles commet un vice du consentement justifiant l’annulation du contrat.
Quel ancien secrétaire de CE, et quel secrétaire de CSE, n’a pas un jour entendu de la bouche de certains commerciaux, à l’occasion d’un démarchage téléphonique ou dans les allées d’un salon, cette phrase en apparence magique « Pas de problème, c’est bien sur le budget de fonctionnement » ? Attention aux raccourcis commerciaux, qui s’affranchissent assez facilement du droit du travail et qui peuvent amener le CSE à utiliser à tort son budget de fonctionnement pour une prestation qui se rattache en fait aux activités sociales et culturelles.
Il faut être lucide, la plupart du temps, le comité social et économique se laisse convaincre, il croit ce qu’un professionnel lui dit. De son côté, le prestataire est satisfait, il a signé un contrat et n’imagine pas que la situation pourrait se retourner contre lui. Et pourtant, comme nous le montre une affaire récemment jugée par la cour d’appel de Versailles, le prestataire qui trompe volontairement un élu du CSE n’est pas à l’abri d’ennuis juridiques et pourrait dire adieu à son contrat et à sa facture.
Un site internet devant permettre aux salariés de bénéficier d’une billetterie
Le 11 janvier 2016, Mme L… trésorière d’un CE signe pour une durée de 3 ans avec un prestataire, la société Alter CE, un contrat intitulé « contrat de service : plateforme et programme Comitéo ». D’après l’offre commerciale, la plateforme en question doit notamment permettre au CE de disposer :
- de modules de communication : documentation (PV, conventions collectives, notes de services…), newsletters, agendas, articles… ;
- d’outils de gestion : suivis des commandes, des visites des publications en temps réel (tableau de bord) ;
- d’une billetterie intégrée regroupant des offres nationales, régionales et locales (cinéma, parc de loisirs, concert, spectacle, séjours et vacances, bons d’achat…) ;
- d’un pack communication : 5 affiches A3, courrier personnalisé par salarié en publipostage format PDF, catalogues papier et version PDF.
Le contrat signé mentionne que le CE a choisi :
- la plateforme comitéo : offre de base (version optimum), pour une durée de 3 ans et un coût de 1 200 + 2 070 + 2 380,50 euros pour cette offre de base ;
- des modules optionnels : le module de billetterie, avantages et bons plans (avec l’indication : « offert ») et le module forfait logistique (pour un coût de 2104,50 euros).
Pour le prestataire, ce site internet n’est qu’un outil de communication du CE
Mais voilà, dès le lendemain de la signature du contrat, Mme L… a un sérieux doute. Elle se demande si, compte tenu du fait que « l’offre constitue un avantage pour les salariés », « une telle plateforme relevait du budget de fonctionnement ». Elle interroge par mail le prestataire, qui lui affirme que « l’offre est imputable au budget de fonctionnement car la prestation commercialisée est un outil de communication (site du CE) ». Et d’ajouter que « tout ce qui sert à la communication des informations, à la gestion des comptes (comptabilité), ou logiciel est imputable au budget de fonctionnement. La seule chose imputable aux œuvres sociales est la boutique en ligne (avantage et bon plan) mais celle-ci est offerte, comme indiqué sur le contrat. D’où cette imputation au budget de fonctionnement ».
La trésorière n’est pas convaincue et fait savoir à son interlocuteur que ses collègues du comité d’entreprise, « dans ces conditions trop floues » « ne veulent pas la poursuite du contrat ».
Bien que s’étant engagé à revenir vers le CE pour lui fournir « un éclaircissement de la part de la direction », le prestataire se fait oublier… « jusqu’à la réclamation du paiement de la facture ».
Pour les juges, il y a eu des manoeuvres dolosives de la part du prestataire
L’affaire finit par arriver devant le tribunal d’instance qui, à la demande du CE, reconnait l’existence de « manœuvres dolosives » ayant eu pour effet de vicier le consentement de l’ancienne trésorière lors de la signature du contrat » (voir notre article du 19 mars 2019). Selon le code civil, le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges (article 1137). Un tel vice du consentement justifie l’annulation du contrat (article 1131).
Dans un arrêt du 9 février 2021, la cour d’appel de Versailles confirme le jugement du tribunal d’instance.
Pour les juges, il était manifeste que la société Alter CE, qui ne pouvait pas ignorer la règle d’ordre public de séparation des budgets, avait « conscience … des précautions à prendre quant à l’imputation du coût de ce service au budget de fonctionnement ou au budget social et culturel ». Et c’est justement en considérant que le CE, qui souhaitait principalement offrir une billetterie aux salariés, ne disposait pas d’un budget social et culturel que l’offre proposée prévoyait la gratuité de la billetterie.
Par ailleurs, les faits montraient bien que la possibilité d’imputer la totalité de la prestation sur le budget de fonctionnement avait été déterminante dans la décision du CE, représenté par sa trésorière, d’accepter de souscrire. Et c’est bien le prestataire qui avait convaincu la trésorière « d’accepter cette proposition de contrat au motif principal que celui-ci serait financé par le seul budget de fonctionnement, allant ainsi jusqu’à proposer la gratuité de la formule relevant du budget social et culturel ».
Enfin, quant à l’affirmation du prestataire selon laquelle le site était un outil de communication et relevait strictement du budget de fonctionnement, rien ne permettait de vérifier les fonctionnalités effectives du site.
D’où « l’existence de manœuvres dolosives ayant déterminé le consentement de Mme L… » et la confirmation de l’annulation du contrat et le rejet des demandes du prestataire tendant à obtenir « le paiement des factures, le paiement des indemnités contractuelles et de dommages-intérêts pour résistance abusive ».
Aujourd’hui, le CSE est autorisé à transférer au plus 10 % de l’excédent annuel de budget de fonctionnement vers la subvention destinée au financement des activités sociales et culturelles (ASC) (articles L. 2315-61 et R. 2315-31-1). En dehors de cette exception légale, strictement encadrée, il est interdit de couvrir des dépenses directement ou indirectement liées aux ASC avec le budget de fonctionnement.
Source : Actuel-CE