Selon l’article L. 2262-14 du code du travail, l’action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de 2 mois. Ce délai court à compter :
- de la notification de l’accord d’entreprise pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise ;
- de la publication de l’accord dans la base de données nationale dans tous les autres cas.
Pour autant, ce texte ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par la voie de l’exception, l’illégalité d’une clause conventionnelle à l’occasion d’un litige individuel la mettant en œuvre (Cons. Const., déc., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC).
► Remarque : pour la Cour de cassation, d’autres personnes que le salarié peuvent soulever, dans un litige individuel, une telle exception d’illégalité (sur cette notion, voir notre encadré en fin d’article). Elle reconnaît ce droit aux CSE et aux syndicats lorsqu’ils défendent leurs droits propres (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-16.002 ; Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-20.077 ; Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-18.442).
Quels sont les griefs que peut présenter un salarié lorsqu’il se prévaut d’une exception d’illégalité d’une convention ou d’un accord collectif ? C’est à cette question que répond, pour la première fois, la Cour de cassation dans un arrêt du 31 janvier 2024 qui figurera à son rapport annuel.
Dans cette affaire, un agent de sécurité, employé à temps partiel à compter d’août 2006, est licencié pour cause réelle et sérieuse en mars 2016. Il saisit la justice en mai 2016 pour contester ce licenciement et solliciter la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.
En appel, il invoque, par voie d’exception, l’illégalité de l’accord collectif d’entreprise du 1er juillet 2010 relatif à l’aménagement du temps de travail, sur le fondement duquel son contrat de travail à temps partiel avait été conclu. Cette illégalité découlait, selon lui, du fait que les délégués syndicaux ayant conclu l’accord n’avaient en réalité plus de mandat.
Les juges d’appel requalifient son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein. L’accord collectif était inopposable au salarié puisque les délégués syndicaux signataires de cet accord n’avaient pas fait l’objet d’une nouvelle désignation après les nouvelles élections professionnelles qui s’étaient tenues début juin 2010 (soit quelques semaines avant la signature de l’accord d’entreprise litigieux).
Or, depuis un arrêt du 10 mars 2010 (Soc., 10 mars 2010, n° 09-60.347), soit avant la signature de l’accord, « le mandat du représentant syndical au comité d’entreprise prend fin lors du renouvellement des membres de cette institution. Par conséquent, les délégués du personnel ayant signé l’accord d’entreprise du 1er juillet 2010 ne disposaient pas d’un pouvoir pour ce faire ».
► Remarque : notons que l’arrêt précité concernait les représentants syndicaux au comité d’entreprise, non les délégués syndicaux. Un détail qui revêt une grande importante (voir les développements relatifs à la validité de l’accord).
L’employeur se pourvoit alors en cassation. Il soutient que le salarié ne peut soulever une exception d’illégalité d’un accord d’entreprise que pour des motifs tenant au fond (c’est-à-dire au contenu d’une ou de plusieurs clauses de cet acte) et non pour des vices de forme ou tenant à la procédure de négociation. Il fonde son argumentation notamment sur la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 précitée. Les Sages évoquaient la contestation « d’une clause de convention ou d’un accord collectif » dans le cadre d’un litige individuel opposant le salarié à son employeur. Pour l’employeur, l’emploi des termes « clauses d’un accord collectif » signifie que le salarié ne peut contester que le contenu de cet accord et non les modalités selon lesquelles il a été négocié et formalisé.
Or, le grief d’illégalité de l’accord collectif invoqué par le salarié, à savoir le défaut d’habilitation des délégués syndicaux ayant signé l’accord collectif, est une question de validité de l’accord et de compétence des signataires (donc une question formelle).
La question posée à la Chambre sociale est donc celle de savoir si un salarié peut contester, dans le cadre d’une exception d’illégalité de l’accord collectif, les modalités selon lesquelles cet accord a été négocié et formalisé ?
Pour la Cour de cassation, un salarié, « au soutien d’une exception d’illégalité d’un accord collectif, ne peut invoquer un grief tiré des conditions dans lesquelles la négociation de l’accord a eu lieu » (par exemple, la déloyauté des négociations). Mais, il « peut invoquer à l’appui de cette exception le non-respect des conditions légales de validité de l’accord collectif, relatives notamment à la qualité des parties signataires ».
Pour justifier sa décision, la Cour de cassation s’appuie sur la nature hybride de l’accord collectif, qui tient de l’acte réglementaire et de l’acte contractuel.
La nature réglementaire d’un accord collectif tient au fait que le recours en contestation de sa légalité et l’exception d’illégalité qui en est le pendant, tels que prévu par l’article L. 2262-14, sont inspirés du droit administratif.
Dans le contentieux administratif, l’on distingue traditionnellement les moyens de légalité interne (soit le fond du droit) et les moyens de légalité externe (soit les conditions d’adoption de l’acte réglementaire). La question de la compétence de l’auteur de l’acte relève de la légalité externe mais elle est considérée comme étant d’ordre public et comme devant être soulevée d’office par le juge. En outre, en raison de la permanence de l’acte réglementaire, la légalité des règles qu’il fixe, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment (c’est-à-dire par voie d’action et par voie d’exception). Il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte (CE, 18 mai 2018, n° 414583).
S’ils produisent des effets les rapprochant des actes réglementaires, les accords collectifs empruntent aussi au droit des contrats qui subordonne notamment la validité d’un contrat à la capacité de contracter. Le code du travail pose également des conditions de validité des conventions et accords collectifs tenant à leur objet et à la capacité des signataires.
► Remarque : par ailleurs, la Cour de cassation rappelle que :
- la nullité d’un accord collectif est encourue « lorsque toutes les organisations syndicales n’ont pas été convoquées à sa négociation, ou si l’existence de négociations séparées est établie, ou encore si elles n’ont pas été mises à même de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant le cas échéant la poursuite des négociations jusqu’à la procédure prévue pour celle-ci » (Cass. soc., 8 mars 2017, n° 15-18.080) ;
- l’employeur doit mener loyalement les négociations d’un accord collectif notamment en mettant à disposition des organisations participant à la négociation les éléments d’information indispensables à celle-ci (Cass. soc., 6 janv. 2016, n° 15-10.975 ; Cass. soc., 9 oct. 2019, n° 19-10.780).
Si l’exception d’illégalité soulevée par le salarié est recevable pour la Cour de cassation, l’accord doit toutefois être jugé valide.
En effet, le juge saisi d’un recours en nullité contre les conventions ou accords collectifs doit apprécier leur conformité au regard des dispositions légales et réglementaires en vigueur lors de la conclusion de ces conventions ou accords.
Rappelons que l’accord litigieux avait été conclu le 1er juillet 2010, soit quelques semaines après les élections professionnelles qui s’étaient tenues en mai 2010.
Pour comprendre la décision prise par la Cour de cassation, il faut rappeler que la loi du 20 août 2008 a conditionné la représentativité des organisations syndicales (leur permettant de désigner un délégué syndical) à la nécessité de totaliser au moins 10 % des suffrages au premier tour des dernières élections professionnelles. A titre transitoire, les délégués syndicaux régulièrement désignés à la date de publication de cette loi conservaient leur mandat et leurs prérogatives jusqu’aux résultats des premières élections professionnelles organisées après publication de la loi (cas de l’espèce). Après ces élections, les délégués conservaient leur mandat et leurs prérogatives s’ils satisfaisaient aux nouvelles conditions légales. La loi ne précisait pas s’il fallait, pour ce faire, « redésigner » les délégués dans les formes. C’est la jurisprudence qui a tranché ce point. Or, celle-ci a exigé cette nouvelle désignation en deux temps.
Si elle l’a exigé dès le 10 mars 2010 (soit avant la signature de l’accord litigieux) pour les représentants de section syndicale, ce n’est que par un arrêt du 22 septembre 2010 (n° 09-60.435 – soit plus de 2 mois après la signature de l’accord litigieux) que cette exigence a été transposée aux délégués syndicaux.
► Remarque : dans le dernier arrêt cité en référence, la Cour de cassation a jugé que « le mandat du délégué syndical prenant fin lors du renouvellement des [IRP], la désignation, à l’issue de ces nouvelles élections, d’un délégué syndical, fait courir à compter de la date de cette désignation le délai de forclusion de 15 jours prévu par l’article R. 2324-24 du code du travail même si le salarié exerçait déjà cette mission avant le nouveau scrutin ».
Cette exigence jurisprudentielle n’ayant été posée pour les délégués syndicaux qu’après sa conclusion, elle ne s’appliquait pas à l’accord litigieux. Celui-ci était donc valide au regard des dispositions légales et réglementaires en vigueur au moment de sa conclusion.
Qu’est-ce que l’exception d’illégalité ?
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L’exception d’illégalité peut se définir comme un moyen permettant de contester indirectement la légalité d’un acte à l’occasion d’un recours en annulation d’une mesure d’application de cet acte. Quelle conséquence si l’illégalité est avérée ? Le juge doit se borner à écarter le texte considéré comme illégal lors des débats sur ce litige particulier, mais il ne peut pas annuler directement l’acte considéré comme illégal. En effet, l’exception d’illégalité n’est pas un recours exercé directement contre un texte mais un argument de procédure permettant à la partie qui l’invoque, et à elle seule, de se soustraire à son application. |