La pandémie a mis le télétravail sur le devant de la scène, mais c’est son instauration dans la durée qui est désormais visée par les employeurs de nombreux secteurs (banques, assurances, mutuelles, spécialistes de la relation clients, etc.). Aussi faut-il regarder de près certains éléments clés de cette négociation, expliquent, dans ce point de vue, Daphné Lecointre et Julien Picard (1), co-fondateurs de PNLConseil, cabinet spécialisé dans le conseil, l’expertise et la formation auprès des représentants du personnel.
Pour les entreprises, les principaux avantages du télétravail sont connus : diminution des coûts immobiliers et des frais de fonctionnement courants, gains de productivité. Peu évoqué, mais néanmoins important pour les directions, le télétravail marginalise de fait les syndicats et le CSE, puisqu’ils n’ont plus directement accès aux salariés. Il individualise ainsi la relation de travail.
Les employeurs disposent d’un véritable effet d’aubaine pour signer à bon compte des accords généralisant le télétravail. En effet, le personnel l’a forcément bien accueilli, puisqu’il réduit l’exposition au Covid-19, tout en gagnant en temps de transport. Les entreprises mettent aujourd’hui cet atout à profit ; ainsi une mutuelle affirme sans ambages que son projet est motivé par « l’ambition d’instaurer, pour l’avenir, un rapport différent au travail et d’améliorer l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle ».
Indemnisation : les précisions de l’Urssaf et de la jurisprudence
Le télétravail ne déroge pas à la règle selon laquelle « les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle, et dans l’intérêt de l’employeur, doivent être remboursés » (Cour de Cassation, 9 janvier 2001, 98-44833, société Médicale de France).
Si ce principe est peu contesté, il n’en reste pas moins que les directions tentent trop souvent de minimiser les indemnités versées au télétravailleur. Pour disposer de points d’appui, les négociateurs syndicaux ont donc grandement intérêt à consulter le site de l’Urssaf :
- une allocation forfaitaire, exonérée d’impôts et de cotisations sociales, peut être allouée au télétravailleur, selon un barème qui équivaut à 2,50 € par jour, soit un montant annuel pouvant aller jusqu’à 550 €;
- l’exonération peut concerner le remboursement des loyers et frais connexes (taxe d’habitation, assurance), évalués au prorata de la superficie utilisée à des fins professionnelles.
L’allocation forfaitaire susmentionnée n’est pas un maximum. Sur justificatifs, le télétravailleur peut se faire intégralement rembourser les frais engagés : fournitures informatiques, cartouches d’encre, ramettes de papier, etc. Il peut en outre demander la prise en charge des frais d’adaptation ou d’aménagement des lieux (mise en conformité de l’électricité, installation de prises spécifiques, mobilier ergonomique, etc.).
Se référer à la jurisprudence est également utile. En particulier, la Cour de cassation considère que le travail à domicile, à la demande de l’employeur, constitue une sujétion particulière et une immixtion dans la vie privée donnant lieu à une indemnité spécifique (7 Avril 2010, 08-44865, Nestlé Waters).
Santé-sécurité et obligations de l’employeur
Comme pour tout projet important, avant de pérenniser le télétravail l’entreprise doit évaluer les risques professionnels induits et définir des actions de prévention.
Sont en particulier en jeu les problématiques propres à l’isolement : RPS (risques psychosociaux) dus à la rupture du lien social, risque d’addiction, risque de débordement horaire, etc. Concernant ce dernier point, rappelons que plusieurs études montrent que le télétravail conduit fréquemment à une augmentation du temps de travail. Par ailleurs, il aggrave les risques de TMS (troubles musculo-squelettiques), en privant des occasions de s’extraire de la position assise : le lieu de travail, c’est aussi les sollicitations des collègues (pause-café, déjeuner en commun, discussions, réunions, etc.).
Autant que nous puissions le constater, les projets d’accord présentés par les directions sont d’une pauvreté déconcertante en matière de santé-sécurité :
- sauf rares exceptions, ils font une impasse totale sur la prévention;
- ils se contentent généralement de mentionner le droit à la déconnexion et de préciser que les dispositions légales relatives à la santé au travail sont applicables aux télétravailleurs.
Non sans arrière-pensée, certains textes indiquent : « Il est rappelé qu’il incombe à chaque salarié de prendre soin de sa sécurité et de sa santé », en référence au 1er alinéa de l’article L. 4122-1 du Code du travail. Mais ils prennent soin d’occulter la fin de l’article, à savoir : « Les dispositions du 1er alinéa sont sans incidence sur le principe de la responsabilité de l’employeur »…
Les actions de prévention : un sujet majeur de négociation
La négociation d’un accord sur le télétravail est le moment idéal pour définir des actions de prévention dignes de ce nom, sans rapport avec les mesures factices qui servent trop souvent à donner de l’épaisseur au document unique. Les trois points ci-après permettront de mieux comprendre l’intérêt de se placer sur un terrain concret et opérationnel :
- Le travail isolé rend impossible les secours en cas de malaise, ce qui doit conduire à envisager la mise en place de dispositifs PTI (protection du travailleur isolé). À tout le moins, ils devraient concerner les salariés présentant des fragilités particulières (handicap, antécédents cardiaques, etc.).
- Pour un télétravail non occasionnel, l’employeur ne peut se contenter « d’actions de sensibilisation des salariés » en matière de prévention des TMS. Celle-ci implique en premier lieu de doter le personnel d’un mobilier ergonomique. Le projet d’accord d’un des leaders de la gestion de la relation client (900 salariés, filiale d’un grand groupe) illustre les butoirs dans ce domaine : il propose « généreusement » aux salariés un prêt de 140 €, remboursable en 5 mensualités !
- Tous les observateurs s’accordent pour reconnaître que l’isolement social pose problème. Les représentants du personnel peuvent à ce niveau jouer un rôle déterminant, notamment en revendiquant un libre accès à l’intranet de l’entreprise, ainsi que l’instauration de panneaux d’affichage virtuels pour les communications du CSE et des organisations syndicales.
L’intérêt de se saisir de l’article L2315-1 du Code du travail
En lien avec le point précédent, l’article L2315-1 doit impérativement être pris en compte lorsque le télétravail se généralise. Selon cet article, « les conditions de fonctionnement du CSE doivent permettre une prise en compte effective des intérêts des salariés exerçant leur activité hors de l’entreprise ou dans des unités dispersées. »
Au plan pratique, cet article signifie que l’éloignement des salariés rend plus difficile le mandat des membres du CSE et qu’ils doivent, pour cette raison, bénéficier de moyens supplémentaires : heures de délégation, nombre d’élus, représentants de proximité, etc.
Pour des raisons évidentes, cette perspective recueillera difficilement l’adhésion des employeurs. Mais s’ils ne donnent pas aux élus les moyens de contribuer à rompre l’isolement qui menace lourdement les télétravailleurs, ils risquent fort de ne pouvoir se prévaloir d’aucun levier de prévention crédible sur ce sujet…
(1) Les auteurs de ce point de vue, Daphné Lecointre et Julien Picard, sont co-fondateurs du cabinet PNL Conseil, spécialisé dans l’intervention à destination des CSE. Ils ont contribué à la rédaction de l’ouvrage : « CSE : prérogatives des ex-DP et représentants de proximité » (éditions Gereso, voir ici).
Source : Actuel-CE