Le télétravail est en principe mis en place par accord collectif, ou à défaut dans une charte unilatérale de l’employeur. Il peut également faire l’objet d’un avenant au contrat de travail du salarié. Il n’a été question de rien de tout cela dans l’affaire soumise à la cour d’appel de Toulouse, jugée le 2 février 2024. Un CSE s’y trouve condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’une salariée. Bien que le contrat de travail de cette dernière mentionnait l’exécution de ses missions dans les locaux du CSE, elle a télétravaillé à son domicile pendant plusieurs années et ne peut pas être licenciée pour faute.
L’assistante est recrutée en 2014 par l’ancien comité d’entreprise de cette société de transport, en remplacement d’une salariée absente. Ce contrat d’origine mentionne que ses fonctions sont exercées « à l’adresse du siège social du CE ». L’assistante est réembauchée en contrat unique d’insertion jusqu’en 2016, ce contrat reprenant les stipulations relatives au lieu d’exécution du contrat de travail. Un avenant poursuit la relation contractuelle en durée indéterminée et maintient les conditions antérieures.
Pourtant, dès son premier contrat, la salariée s’installe derechef en télétravail. Le 5 février 2019, les élus du CE lui reprochent d’avoir apposé deux signatures différentes sur un chèque à la place de la signature d’un membre du bureau eu CSE. Ils regrettent de ne pouvoir surveiller l’exécution du travail. Après un entretien préalable à sanction disciplinaire, l’assistante est sanctionnée par un avertissement.
Le 18 avril 2019, à la suite des ordonnances Macron fusionnant les instances de représentation du personnel, un nouveau CSE est élu. Il demande à l’assistante de respecter son contrat de travail, d’exécuter ses missions dans les locaux et lui proposent d’aménager ses horaires afin de l’aider dans son organisation personnelle. Refus net de la salariée qui indique télétravailler depuis son embauche et ne voit pas de raisons de revenir sur cette situation. En conséquence, le CSE se résout à la licencier pour motif personnel et manquement à ses obligations contractuelles.
La salariée saisit le conseil des prud’hommes qui rejette ses demandes. Elle fait appel et réclame près de 17 000 euros au CSE au titre du treizième mois, de chèques vacances non réglés et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dans des conditions vexatoires. Elle produit devant les juges une attestation de l’ancienne assistante du CE (celle qu’elle remplaçait), affirmant n’avoir travaillé que depuis son domicile. A l’appui de ses demandes, elle fournit une déclaration d’un représentant syndical au cours de la réunion du CE du 19 septembre 2019, « ayant insisté sur le fait que l’organisation prévue était en télétravail ».
Devant la cour d’appel, le CSE rappelle que le contrat de travail de la salariée ne prévoyait pas de télétravail, qu’elle bénéficiait d’une simple tolérance de l’ancienne instance. De plus, le télétravail « ne pouvait s’appliquer à notre structure [comme mode d’organisation du travail], faute d’accord collectif conclu sur le sujet ». Il s’ensuit pour le CSE un « manquement grave de la salariée à ses obligations ». Le télétravail nuit selon lui au fonctionnement du CSE puisque la question de la falsification des chèques ne se serait pas produite si la salariée avait exercé ses missions dans les locaux.
Devant les juges, la salariée fait valoir qu’il a « été convenu dès son embauche qu’elle exercerait sa fonction depuis son domicile dans le cadre d’un télétravail avec une visite mensuelle au siège du CSE dont la date était fixée d’un commun accord ». Elle ajoute que « cette modalité n’entraînait aucune difficulté d’organisation et ne peut justifier la modification de son lieu de travail sans son accord ».
La cour d’appel lui donne raison en rappelant d’emblée que « le contrat de travail ne peut être modifié qu’avec l’accord exprès du salarié ». Précisons que tel est en effet le cas si l’employeur veut modifier un élément essentiel du contrat de travail. Selon l’article L.1222-6 du code du travail, « Lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail pour l’un des motifs économiques énoncés à l’article L. 1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ». En revanche, la modification par l’employeur des conditions de travail ne nécessite pas, en principe, l’accord du salarié.
C’est d’ailleurs bien le raisonnement poursuivi par la cour d ‘appel : « Lorsque les parties sont convenues d’une exécution de tout ou partie de la prestation de travail par le salarié à son domicile, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle du travail sans l’accord du salarié ». Elle ajoute que les contrats de travail ne mentionnaient les locaux du CSE qu’à « titre indicatif ». Enfin, « si la mention du télétravail n’a pas été portée dans le contrat comme étant incompatible, pour autant il est établi qu’il était convenu entre l’employeur et la salariée que celle-ci exercerait sa prestation de travail à son domicile en venant au siège de l’employeur une fois par mois et que cette modalité d’organisation qui a été mise en place pendant plus de cinq ans et neuf mois, constituait un élément essentiel du contrat de travail, de sorte qu’elle ne pouvait être modifiée sans l’accord de la salariée ».
Cette solution a déjà été reconnue par la Cour de cassation depuis 2006 : en dehors des situations visées par la clause de réversibilité, l’employeur ne peut mettre fin au télétravail sans l’accord du salarié. Il s’agit d’une modification du contrat que le salarié peut refuser (voir par exemple les arrêts n° 04-43.592 du 31 mai 2006 ou plus récemment, n° 12-23.051 du 12 février 2014).
Par suite, comme l’indique l’article L.1222-6 du code du travail, c’est par un licenciement pour motif économique et non pour motif personnel que le CSE pouvait se séparer de sa salariée. A la lecture de cette solution, on ne peut que conseiller aux CSE de se montrer vigilant dans la rédaction des contrats de travail de ses salariés, et de ne pas laisser s’installer des situation de fait, non seulement quand elles émanent en grande partie d’un engagement non écrit pris par l’instance précédente, mais encore dès le début des nouveaux mandats.
La cour d’appel a accordé à la salariée 6 864 euros au titre des dommages et întérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1 144 de prime de treizième mois, 330 de chèques vacances et 2 500 de frais de justice, soit une somme de 10 838 euros.