Le CSE d’établissement ne peut pas désigner un expert sur la situation économique et financière si l’employeur n’a pas décidé de le consulter, et qu’aucun accord collectif ne prévoit une consultation à ce niveau.
La question de la désignation d’un expert par le CSE d’établissement (CSEE) fait l’objet d’une jurisprudence abondante depuis près de 2 ans. La Cour de cassation tranche, dans cet arrêt publié du 20 septembre 2023 (en pièce jointe), un nouveau cas de figure dans le cadre de la consultation récurrente sur la situation économique et financière. La solution est sans surprise mais mérite d’être détaillée.
 
Désignation d’un expert par le CSEE dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière
Dans cette affaire, le CSE d’établissement du secteur d’activité de la cohésion sociale d’une association en faveur des personnes handicapées décide du recours à une expertise en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise.
L’employeur conteste le droit à consultation et à expertise du CSEE et demande au tribunal judiciaire l’annulation de la délibération.
Le tribunal judiciaire refuse, au motif que « la possibilité du comité central d’entreprise d’être assisté par un expert-comptable pour l’examen annuel de la situation économique et financière de l’entreprise ne prive pas le comité social et économique d’établissement, qui dispose d’une autonomie suffisante et dans les limites de pouvoirs confiés au chef d’établissement, d’être assisté par un expert-comptable pour l’examen des comptes annuels, et donc plus largement de la situation économique et financière de l’établissement pour pouvoir notamment se comparer avec les autres établissements ».
 
► Le tribunal judiciaire applique ici une jurisprudence de la Cour de cassation de 2019, laquelle a reconnu le droit à expertise du comité d’établissement sous l’empire de la loi Rebsamen, contrairement à toute attente, afin de permettre à ce dernier de connaître la situation économique, sociale et financière de l’établissement dans l’ensemble de l’entreprise et par rapport aux autres établissements ; et ce sur le fondement de l’identité des attributions du comité d’établissement avec le CCE dans la limite des pouvoirs confiés au chef d’établissement, et de l’application du critère d’autonomie suffisante nécessaire à la mise en place d’un tel comité d’établissement (Cass. soc., 16 janv. 2019, n° 17-26.660). Cette solution avait surpris, et la rédaction avait émis des réserves sur son applicabilité suite à mise en place du CSE par l’ordonnance Macron. 
 
Pas d’accord sur les consultations récurrentes et pas de consultation au niveau des CSEE
Mais la Cour de cassation n’est pas d’accord avec cette décision. Elle rappelle que :

– selon l’article L. 2312-22 du code du travail, en l’absence d’accord prévu à l’article L. 2312-19, le CSE est consulté chaque année sur la situation économique et financière de l’entreprise, laquelle est conduite au niveau de l’entreprise, sauf si l’employeur en décide autrement et sous réserve de l’accord de groupe prévu à l’article L. 2312-20 du code du travail ;
– aux termes de l’article L. 2315-88 du même code, le CSE peut décider de recourir à un expert-comptable en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise.

Elle constate ensuite qu’il n’y a pas d’accord relatif aux consultations récurrentes dans cette association, et que l’employeur n’a pas décidé de consulter le CSEE sur la situation économique et financière.
La Haute juridiction en déduit, en toute logique que « la consultation récurrente sur la situation économique et financière de l’entreprise relevait du seul comité social et économique central et que le comité social et économique de l’établissement ne pouvait recourir à une expertise à ce titre ». Ainsi, en l’absence d’accord, et si l’employeur n’a pas soumis à la consultation du CSEE les comptes de l’établissement, et plus largement sa situation économique et financière, la consultation ne s’effectue qu’au niveau de l’entreprise et de son CSEC, et en conséquence, il n’y a aucun droit à expertise du CSEE.
 
Une solution dans la lignée de la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur la répartition des compétences entre CSEC et CSEE
La Cour de cassation a rendu plusieurs décisions en matière de répartition des compétences entre CSEC et CSEE au cours des derniers mois. Elle a tout d’abord confirmé le lien de cause à effet entre droit à consultation, et droit à expertise. Ainsi, dès lors que le CSEE n’a pas compétence pour être consulté, il n’a pas de droit à expertise, et ce qu’il s’agisse d’une consultation récurrente (Cass. soc., 16 févr. 2022, n° 20-20.373, notamment) ou d’une consultation ponctuelle sur un projet (Cass. soc., 16 févr. 2022, n° 20-17.622).
Les décisions relatives aux consultations récurrentes concernaient toutes la politique sociale. Or, rappelons que cette consultation a la spécificité de se tenir au niveau des CSEE dès lors qu’aucun accord n’en décide autrement, et qu’il existe des mesures d’adaptation au niveau de l’établissement. Dans ce cas et seulement dans ce cas, le CSEE doit être consulté et donc peut désigner un expert, mais uniquement sur le champ desdites mesures d’adaptation (Cass. soc. 9 mars 2022, n° 20-19.974, notamment, et Cass. soc., 19 avr. 2023, n° 21-23.992).
La Cour de cassation semble donc boucler la boucle en précisant dans l’arrêt du 20 septembre 2023 que le CSEE n’est consulté et donc n’a droit à un expert sur la situation économique et financière, que lorsque l’employeur a lui-même décidé de soumettre à la consultation dudit CSEE les comptes (et plus largement la situation économique et financière) de l’établissement. Bien sûr, rappelle la Cour de cassation, un accord peut en décider autrement, et dans ce cas, ce sont les dispositions de l’accord qu’il faudra appliquer. Il est donc possible de prévoir une telle consultation au niveau des établissements afin que les CSEE puissent comparer leur situation entre eux, et dans ce cas, l’expertise sera possible, et ce même si elle n’est pas prévue expressément par l’accord (Cass. soc., 9 mars 2022, n° 20-19.974).

Séverine Baudouin

Source – Actuel CSE