Contrairement à ce qui prévalait pour le CE, les suppléants du CSE n’assistent pas aux réunions de l’instance, sauf en l’absence du titulaire. Est-ce un point négocié dans les accords sur le passage à l’instance unique ? Quid du CSE central ? Quelles autres missions leur confier ? Réponses et témoignages.

De prime abord, la question de la place et du rôle des suppléants dans la nouvelle instance de représentation du personnel, le CSE (comité social et économique), pourrait paraître mineure : un suppléant n’est-il pas là pour suppléer ? Pourtant, la présence des suppléants aux réunions est une question clé, aux yeux de nombreux élus. En jeu : la transmission des savoirs-faire et de l’expérience au sein des délégations du personnel dans les entreprises. En effet, avec la limitation à trois du nombre de mandats successifs que peut accomplir un élu du CSE à partir de 300 salariés, cette transmission de culture est tout sauf évidente, alors que les sujets traités par l’instance, de plus en plus complexes, mêlent désormais prérogatives économiques (ex-CE), activités sociales et culturelles (ex-CE), traitement des réclamations individuelles et collectives (ex-DP) et conditions de travail (ex-CHSCT).

Les suppléants assistaient aux réunions CE

Si la présence des suppléants aux réunions, prévue précédemment par le code du travail, était une pratique courante dans les CE et lors des réunions mensuelles des délégués du personnel, les ordonnances prévoient par défaut que le suppléant n’assiste pas aux réunions, sauf lorsqu’il doit remplacer un titulaire absent (art. L. 2314-1 du code du travail).

« La possibilité d’apprendre en faisant est réduite avec les contraintes posées par le statut des suppléants, qui limite de facto les possibilités d’un apprentissage », observe ainsi le récent rapport d’évaluation des ordonnances Travail réalisé par les cabinets Orseu et Amnyos qui évoque 38 cas d’application des ordonnances Macron. Le danger est donc d’avoir des suppléants sans véritable rôle ni fonction, assigné à un rôle de remplaçant ponctuel.

Une relation de confiance 

 

Certes, il reste possible, même si les ordonnances ne le précisent pas textuellement, de tenter de négocier avec l’employeur la présence de tout ou partie des suppléants aux réunions. Claire Baillet, du cabinet Alinéa, dit avoir vu ce cas de figure dans les accords CSE de petits établissements. Exemple chez Saditec, une PME d’une cinquantaine de salariés spécialisée dans les cartes électroniques et basée dans l’Essonne, dont nous avons croisé les élus au salon CE de Paris, la semaine dernière.

Dans ce nouveau CSE, la présence du suppléant a été admise par l’employeur aux réunions. Mais il faut dire que le CSE ne compte que 3 élus pour 1 seul suppléant. « Par exemple, moi, je suis commercial, donc je serai pas forcément là à toutes les réunions », nous dit Frédéric Benamor, un élu de l’instance. Le rapport d’Orseu-Amynos cite aussi le cas d’une PME de 80 salariés, FormaSup, dont l’employeur laisse les suppléants assister aux réunions, alors que cela n’a pas même pas été formalisé dans un accord, mais il s’agit, dit la direction, « d’une relation de confiance ».

Que se passe-t-il dans les grands établissements ?

Dans les établissements à l’effectif plus important, cette présence des suppléants est plus difficile à obtenir.  « L’employeur ne veut pas d’une délégation importante, qu’il perçoit comme un coût inutile », a déploré Claire Baillet, le jeudi 27 septembre au salonCE de Paris, qui se tenait dans le stade Arena, derrière la Défense, où elle présentait un premier bilan des accords concernant le passage à l’instance unique, le comité social et économique (CSE).

C’est l’argument que se sont vus opposer les élus d’Interep (Haute-Loire), une société de 95 salariés : « Nous avons essayé de négocier la présence des suppléants en réunion, mais l’employeur a refusé en disant que cela faisait trop d’absences au travail ». En revanche, dans cette entreprise industrielle du caoutchouc qui connaît maux de dos et accident du travail, l’employeur a accepté la création d’une commission santé sécurité conditions de travail (CSSCT).

Quelques accords d’entreprises importantes vont toutefois plus loin. L’accord de BHV Exploitation donne la possibilité à chaque organisation syndicale de choisir quelques suppléants pour qu’ils soient présents aux séances plénières, « peu important l’absence ou non d’un titulaire ».

 C’est comme si on empêchait les remplaçants d’une équipe de rugby de s’échauffer !

L’accord d’Oracle octroie des heures de délégation pour les suppléants (*), tout comme l’accord de Libris. Une idée évoquée également dans le rapport d’évaluation d’Orseu  sur la mise en place des CSE, avec cette réserve : « Le code du travail prévoit la possibilité pour les membres titulaires du CSE de donner, sous réserve de respecter certaines conditions, des heures de délégation à un suppléant. Cela suppose une capacité de gestion managériale des équipes en place, au niveau des secrétaires ou plus souvent des responsables syndicaux ».

Car comme le dit un DS d’une entreprise, « un suppléant qui ne vient jamais en réunion, c’est un suppléant perdu. Il faut l’intégrer au travail et au dialogue avec la direction ». Philippe Portier, chargé des IRP à la CFDT, a eu cette formule en présentant un bilan alarmant de la mise en place des CSE : « Interdire aux suppléants d’aller aux réunions, c’est un peu comme si on empêchait les remplaçants d’une équipe de rugby de s’échauffer ».

Le temps presse !

Le rapport Orseu-Amnyos cite aussi le cas de l’accord CSE d’Orbital qui prévoit la présence d’un tiers des suppléants aux réunions. La déléguée syndicale CFDT d’Alliage, citée dans le rapport, dit avoir négocié la participation des suppléants à toutes les réunions : « Le CSE est une opportunité parce qu’on est plus nombreux, avec des personnalités différentes. Là, on pourrait avoir un collectif pour traiter les problèmes ».

D’autres solutions sont à tenter, comme de faire des suppléants des représentants de proximité, ce qui est une façon de leur permettre une première expérience de terrain. Dans le groupement hospitalier Hospi (4 cliniques, 1 200 salariés), des représentants de proximité ont été désignés parmi les membres suppléants de la délégation du CSE, avec un crédit d’heures. Ils jouent le rôle autrefois dévolu aux délégués du personnel. 

Il est possible aussi de leur confier un rôle spécifique dans des commissions du CSE, par exemple. Quoi qu’il en soit, le temps presse pour tenter de négocier en amont une place et un rôle pour les suppléants du futur CSE. Claire Baillet met en garde les élus contre l’imminence de la date butoir : « L’échéance de fin 2019 signifie que la vraie date butoir est début novembre pour la négociation du protocole électoral afin que les élections puissent se tenir avant les vacances de Noël ».

(*) Lorsqu’un titulaire cesse ses fonctions, le suppléant amené à le remplacer pourra l’assister durant les trois derniers mois d’exercice de son mandat, prévoit l’accord d’Oracle.

 

Quid du CSE central ?
L’article L. 2314-1 du code du travail spécifiant que le suppléant ne siège au CSE qu’en l’absence du titulaire s’applique-t-il aussi au comité social et économique central (CSEC) ? Pour Claire Baillet, en l’absence de renvoi explicite à cet article, la réponse est non. Prudence cependant ! Si rien n’est prévu quant à la participation des suppléants aux réunions du CSE central, il en était déjà de même pour le CCE. Une réponse ministérielle avait tranché pour leur participation par analogie aux règles édictées pour le CE (voir le Journal Offciel du 17/11/2018, p.1298). Par conséquent, on peut en déduire que les suppléants ne participent pas aux réunions du CSE central, sauf en l’absence du titulaire, par analogie avec l’article L. 2314-1 applicable au CSE. Comme pour les CSE d’établissement, le suppléant doit cependant recevoir convocation et ordre du jour au cas où il serait amené à remplacer un titulaire. L’on peut penser qu’un juge ferait la même lecture. Les élus et délégués syndicaux ont donc intérêt à tenter d’obtenir dans un accord la présence des suppléants aux réunions du CSE central.