Lorsqu’une dégradation de l’excédent brut d’exploitation (EBE) est invoquée par l’employeur pour justifier des difficultés économiques à l’appui d’un licenciement, il appartient au juge du fond de vérifier, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, que cette dégradation est sérieuse et durable.

Depuis le 1er décembre 2016, l’article L 1233-3 du code du travail fixe des critères objectifs permettant d’établir l’existence de difficultés économiques de nature à justifier un licenciement économique. Celles-ci doivent en effet être caractérisées :

  • soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation (EBE);
  • soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Contrairement à ce qu’elle prévoit pour la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, la loi ne fixe pas de critère de durée pour apprécier les difficultés économiques résultant de pertes d’exploitation ou d’une dégradation de la trésorerie ou de l’EBE. Il n’en demeure pas moins que l’article L 1233-3 du code du travail exige une évolution significative de ces indicateurs.

Mais comment s’apprécie-t-elle ? Quel est l’office du juge du fond en la matière ? Appelée à se prononcer sur l’indicateur relatif à la dégradation de l’EBE, la Cour de cassation (pourvoi n° 20-19.661) répond à ces questions dans un arrêt du 1er février 2023 : cette dégradation doit être sérieuse et durable, ce que le juge du fond doit vérifier en appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis.

Une dégradation importante de l’EBE sur plusieurs années…

En l’espèce, une entreprise confrontée à des difficultés économiques décide de supprimer deux postes de travail en CDI, dont celui d’une directrice d’hébergement. Pour justifier ces licenciements économiques intervenus au début de l’année 2017, l’employeur explique, dans sa note d’information sur les motifs économiques remise aux salariés, que, depuis 2015, l’entreprise est confrontée à une dégradation de son EBE et qu’elle risque de ne plus pouvoir faire face à ses échéances financières et de se retrouver en état de cessation des paiements si elle ne prend aucune mesure, notamment de réduction de la masse salariale.

Mais cet argument ne convainc pas l’ex-directrice d’hébergement dont le poste est supprimé. Pour elle, l’employeur ne pouvait pas se fonder sur une évolution significative de l’EBE pour caractériser des difficultés économiques dès lors que la situation de l’entreprise était sur le point de s’améliorer, son chiffre d’affaires ayant augmenté d’environ 25 % en 2016. Elle décide donc de contester la légitimité de son licenciement devant la juridiction prud’homale.

… atteste de l’existence de difficultés économiques

La salariée est déboutée en première instance, puis en appel, les juges du fond estimant pour leur part que l’entreprise justifiait avoir été confrontée à des difficultés économiques caractérisées par une dégradation de son EBE.

Ils avaient en effet relevé que :

  • l’entreprise avait enregistré un EBE de – 726 000 € en 2014, – 874 000 € en 2015 et de seulement + 32 000 € en 2016 grâce à la réalisation de certaines opérations financières, dont la renégociation d’un crédit-bail immobilier, une baisse des frais de holding et un apport en compte courant d’associé (sans lesquelles l’EBE se serait élevé à – 432 000 €) ;
  • cette dégradation s’était bien poursuivie en 2017, puisque les comptes de l’exercice affichaient un EBE de – 124 013 €.

Le pourvoi de l’intéressée est également rejeté. Pour la Haute Juridiction, dès lors que la cour d’appel avait bien constaté, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, une dégradation sérieuse et durable de l’EBE, elle avait pu en déduire que cet indicateur avait subi une évolution significative au sens de l’article L 1233-3 du Code du travail.

Autrement dit, si les comptes de l’entreprise révèlent une dégradation importante de l’EBE sur plusieurs années, les juges du fond doivent retenir l’existence de difficultés économiques. À l’inverse, une dégradation simplement passagère et/ou de faible ampleur de l’EBE n’est pas révélatrice de difficultés économiques de nature à justifier un licenciement économique.

Dans le cadre juridique antérieur à la loi du 8 août 2016, la Cour de cassation s’était déjà prononcée en ce sens à propos des difficultés économiques au sens large, considérant qu’elles ne devaient pas être simplement passagères (Cass. soc. 8-12-2004 nº 02-46.293 ; Cass. soc. 28-1-2014 n 12-23.206). En l’espèce, on peut relever que les juges ne se sont guère trompés sur la nature et l’ampleur des difficultés économiques auxquelles était confrontée l’entreprise, celle-ci ayant été placée en redressement judiciaire quelques années plus tard.

Les points contrôlés par le juge

L’autre enseignement de l’arrêt est de confirmer l’office du juge prud’homal, tenu de contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique de licenciement. Pour rappel, le contrôle du juge du fond porte tant sur la réalité de la cause économique (difficultés économiques, mutations technologiques, réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou cessation d’activité de l’entreprise) et des conséquences sur l’emploi (suppression ou transformation de l’emploi ou modification du contrat du travail du salarié) que sur la relation de cause à effet entre ces deux éléments.

Sur ce dernier point, il revient au juge de vérifier que la suppression ou transformation d’emploi ou la modification du contrat de travail est, non pas strictement nécessaire ou indispensable, mais simplement justifiée par la cause économique alléguée, car il ne lui appartient pas de contrôler le choix effectué par l’employeur entre les différentes solutions possibles (Cass. ass. plén. 8-12-2000 nº 97-44.219 ; Cass. soc. 24-3-2010 nº 09-40.444 Cass. soc. 29-2-2012 nº 10-26.185).

Le Conseil d’État a eu l’occasion de le rappeler à propos du pouvoir de l’administration, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif économique (CE 4e-1e ch. 15-11-2022 nº 449317). Si, en principe, le motif économique s’apprécie à la date de notification du licenciement (Cass. soc. 26-2-1992 nº 90-41.247 ; Cass. soc. 13-5-2009 nº 07-43.314), le juge peut toutefois tenir compte d’éléments postérieurs à cette date (Cass. soc. 3-12-2014 nº 13-19.707Cass. soc. 9-9-2020 nº 18-19.309).

C’est ce qui explique que, en l’espèce, les juges ont pu valablement tenir compte des résultats comptables de l’exercice 2017, arrêtés au 31 décembre, alors que la rupture des contrats de travail datait de janvier 2017. 

Peu important que le chiffre d’affaires ait augmenté sur une année

Les difficultés économiques étant caractérisées par la dégradation sérieuse et durable de l’EBE, la Cour de cassation écarte le moyen de la salariée qui s’appuyait sur le constat d’une augmentation du chiffre d’affaires dans l’année qui avait précédé la rupture des contrats de travail. Ce moyen n’avait aucune chance de prospérer.

En effet, en cas de contestation par un salarié de son licenciement économique prononcé en raison de difficultés économiques, l’employeur peut obtenir la validation du licenciement même en l’absence de baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires. Il lui suffit de justifier d’une évolution significative d’un autre indicateur économique prévu par l’article L 1233-3 du Code du travail (ce qui était le cas en l’espèce) ou de tout autre élément de nature à justifier de difficultés économiques (Cass. soc. 21-9-2022 nº 20-18.511).

 

Qu’est-ce que l’EBE ? 

En comptabilité d’entreprise, l’excédent brut d’exploitation, l’EBE,  mesure la rentabilité qu’une entreprise dégage de son activité avant prise en compte des charges non décaissables d’exploitation et donc des charges et produits hors exploitation (charges financières, produits financiers, charges exceptionnelles, participation, etc.).

La valeur ajoutée (VA) se calcule en soustrayant de la valeur de la production les coûts intermédiaires, c’est-à-dire les matières premières et les services que les entreprises ont dû acheter pour produire (voir ici).

Ajoutons que le rapport entre l’EBE et la valeur ajoutée (VA) mesure, en pourcentage, ce qu’il reste de la richesse créée par l’entreprise après affectation aux salariés (hors participation éventuelle) et aux administrations publiques (charges sociales et impôts à l’exclusion de l’impôt sur les bénéfices).

Ce ratio indique aussi la capacité de l’activité de l’entreprise (avant prise en compte des charges non décaissables d’exploitation) à générer du bénéfice à partir de la richesse créée.

 

Source – Actuel CSE