Un accord collectif peut prévoir la prise en charge d’une partie des cotisations syndicales annuelles par l’employeur. Mais l’accord doit respecter certains principes rappelés par la Cour de cassation dans cet arrêt du 28 septembre 2022, comme par exemple le respect de la liberté de choix du salarié : un accord réservant cette prise en charge aux seuls syndicats représentatifs n’est donc pas licite.

La principale source de financement d’un syndicat réside dans les cotisations versées par les adhérents. Ces cotisations sont un critère de représentativité du syndicat, elles reflètent notamment son indépendance et sa capacité à agir, grâce à ses ressources, dans l’intérêt des salariés qu’il représente. Pour ces raisons, l’employeur ne peut, en aucun cas, prélever les cotisations syndicales sur les salaires de son personnel pour les payer aux lieu et place de celui-ci (C. trav., art. L. 2141-6).

Malgré cela, les employeurs peuvent tout de même participer au financement des syndicats, en prévoyant par exemple, par accord collectif, une prise en charge d’une partie du montant des cotisations syndicales annuelles. Mais à certaines conditions seulement. Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle ces conditions, qu’elle avait elle-même définies dans un arrêt du 27 janvier 2021 (Cass. Soc., 27 janv. 2021, n° 18-10.672, voir notre article).

Un accord collectif prévoit la prise en charge patronale des cotisations syndicales des salariés

Le litige porte ici sur la disposition d’un accord collectif qui prévoit le remboursement, par l’employeur, aux salariés syndiqués, du reste à charge des cotisations syndicales individuelles versées aux syndicats représentatifs, après soustraction de la partie fiscalement déductible de l’impôt sur le revenu. Ce remboursement est effectué par l’intermédiaire des syndicats et d’un officier ministériel.

Demande d’annulation de la disposition conventionnelle

Un syndicat demande l’annulation de cette disposition. Il estime que la prise en charge patronale ainsi prévue ne répond pas aux exigences posées par la Cour de cassation en la matière. En effet, cette prise en charge ne s’applique qu’aux cotisations syndicales versées aux syndicats représentatifs, ce qui porte atteinte au principe d’égalité avec les syndicats non représentatifs. En outre, elle concerne, après soustraction de la partie fiscalement déductible de l’impôt sur le revenu, la totalité du reste à charge des cotisations versées, ce qui porte atteinte au principe d’indépendance du syndicat.

La cour d’appel a pourtant validé la disposition conventionnelle. Elle relève que le remboursement de la part de reste à charge au titre de l’impôt sur le revenu est réalisé par le syndicat et non l’employeur. De plus, selon elle, le fait de créer un dispositif plus favorable pour les syndicats représentatifs n’est pas discriminatoire. Il s’agit d’accorder un avantage à ces syndicats sans priver les autres des moyens qui leur sont légalement attribués. En outre, cette différence de traitement est justifiée par une raison objective et matériellement vérifiable qui est de préserver l’indépendance syndicale et d’inciter à l’engagement syndical, afin de renouveler les membres des syndicats compte tenu des perspectives démographiques de départ de nombreux adhérents.

Annulation du dispositif par la Cour de cassation

La Cour de cassation invalide le raisonnement de la cour d’appel. Elle rappelle les principes posés par l’arrêt du 27 janvier 2021 (Cass. Soc., 27 janv. 2021, n° 18-10.672), repris par le syndicat dans son argumentaire, et annule le dispositif conventionnel.

En effet, un accord collectif peut instituer des mesures de nature à favoriser l’activité syndicale, et dans ce cadre, en vue d’encourager l’adhésion des salariés de l’entreprise aux organisations syndicales, prévoir la prise en charge par l’employeur d’une partie du montant des cotisations syndicales annuelles. Mais, à plusieurs conditions seulement :

  • cela ne doit pas porter atteinte à la liberté du salarié d’adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix ;
  • cela ne doit pas permettre à l’employeur de connaître l’identité des salariés adhérant aux organisations syndicales ;
  • cela doit bénéficier tant aux syndicats représentatifs qu’aux syndicats non représentatifs dans l’entreprise.

En outre, le montant de la participation ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales. Si tel était le cas, cela serait en contradiction avec le critère d’indépendance posé par l’article L. 2121-1 du code du travail, nécessaire à l’établissement de la représentativité d’un syndicat.

Le dispositif en place ne répond pas aux exigences de la Cour

La disposition conventionnelle en question réserve cette prise en charge aux syndicats représentatifs, et prévoit, au-delà de la déduction de l’impôt sur le revenu, un remboursement intégral du reste à charge des cotisations dues par le salarié. Les conditions posées par la Cour de cassation pour la validité d’un dispositif de prise en charge des cotisations syndicales ne sont donc pas respectées.

Cependant, au regard des conséquences manifestement excessives qu’une annulation rétroactive pourrait avoir, la Cour de cassation décide de différer les effets de cette annulation. En effet, cela créerait une situation délicate pour les adhérents bénéficiaires qui ont déjà versé leurs cotisations aux organisations syndicales représentatives en considération du remboursement du reste à charge. Cette annulation ne sera donc effective que pour les cotisations versées à compter du 1er janvier 2024.

►  Remarque : le report, par le juge, des effets de l’annulation d’un accord collectif pour l’avenir est une possibilité offerte par l’article L. 2262-15 du code du travail. La Cour de cassation avait d’ailleurs déjà eu recours à ce mécanisme, auquel elle avait apporté des précisions d’application dans un arrêt du 13 janvier 2021 (Cass. Soc., 13 janv. 2021, 19-13.977).

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