Le parquet de Bobigny a ouvert une enquête préliminaire portant sur des soupçons de détournement d’argent par des élus du comité social et économique (CSE) de Randstad Inhouse Services (RIS), rapporte le quotidien Le Monde dans un article publié hier. Basé à La Plaine-Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, ce CSE, le seul des CSE de Ranstad dont le périmètre est national, est le plus important du groupe néerlandais en France (700 salariés permanents et 25 000 intérimaires). Déposées par la direction et l’avocat du CSE, deux plaintes, concernant « un abus de confiance en bande organisée », une « entrave au fonctionnement du CSE » et des « intimidations et menaces » envers des salariés et élus qui ont dénoncé ces faits, visent 13 élus de ce CSE et notamment 4 membres du bureau. Ceux-ci auraient « bénéficié d’un système illicite de remboursement de notes de frais, centré pour l’essentiel sur des frais de déplacement fictifs ou abusifs entre 2021 et 2023 ». Nous avons joint l’avocat du CSE, Pierre Dulmet qui est à l’origine d’une des plaintes et qui a également saisi de cette affaire l’administration fiscale.
Parce que nous l’avons saisi ! Deux plaintes ont été déposées, l’une par l’employeur, l’autre par le CSE dont je suis l’avocat. Le parquet les a transmis à la police judiciaire pour qu’elle mène l’enquête. Je ne sais pas comment ils vont traiter cette affaire dans la mesure où les personnes concernées sont dispersées sur tout le territoire, mais le parquet va centraliser. Vu les enjeux, il se pourrait aussi qu’un juge d’instruction soit saisi.
Au départ, il y a un défaut total de transparence de la part de l’ancien bureau du CSE. Les autres élus (Nldr : il y en a 34) s’interrogeaient, réclamaient des informations et des documents sur la gestion du comité, et cela inquiétait aussi la direction. Quelques informations inquiétantes sur la gestion financière de la part du bureau ont commencé à circuler dans l’entreprise, jusqu’à ce que la direction décide de saisir en référé le tribunal judiciaire de Bobigny contre les quatre membres du bureau d’alors pour les contraindre à donner les archives du CSE et les documents économiques et financiers de l’instance. Le tribunal a ordonné sous astreinte aux élus du bureau de communiquer à l’expert-comptable de l’entreprise un ensemble de documents, sous contrôle d’huissier.

A la suite de cette ordonnance et sur la base de ces documents, la société d’expertise mandatée par l’employeur, Orcom, a rendu un rapport détaillé. Ce rapport s’inquiète de remboursements d’indemnités kilométriques d’un montant très important, avec des notes de frais qui ne correspondent pas à une réalité plausible, vu le nombre de kilomètres et aussi des destinations où Randstad n’avait pas ou plus de site, sans parler d’une fréquence qui rend tout bonnement impossible la réalité de ces déplacements. Il faudrait être sur la route toute une nuit et une journée, sans aucune pause, pour que cela colle ! Ce qui a également frappé l’expert, c’est l’absence, dans ces indemnités kilométriques, de frais de péage, de frais d’hôtel, etc.
Ils ont renversé le bureau du CSE, les quatre membres ont été démis de leurs fonctions en novembre 2023. Un nouveau bureau a tenté de solliciter le complément des archives, de juin 2023 à aujourd’hui, mais sans autre éléments que quelques relevés de comptes bancaires où ils ont d’ailleurs constaté que le remboursement des indemnités kilométriques avait même augmenté après le rendu de l’ordonnance ! Et de façon exponentielle, avec des sommes allant jusqu’à 130 000€ en trois mois pour un élu pour les seuls frais kilométriques ! Au total, je crois qu’on atteint la somme d’1,5 million d’euros de frais litigieux.
Ranstad est divisé en six CSE d’établissements, un par grande région (Ouest, Nord-Ouest, Ile-de-France, Est, Sud-Est, Sud-Ouest), sauf justement pour ce septième CSE de Randstad Inhouse Services (RIS) qui lui est resté national, car il représente les intérimaires qui travaillent directement chez les clients, dans les entreprises.

Il était justement prévu de supprimer ce CSE national (qui représente 700 salariés permanents et 25 000 intérimaires) pour le fondre dans les autres CSE d’établissement. Peut-être est-ce l’élément qui a généré, en 2022-2023, l’idée chez certains élus que puisque le CSE était amené à disparaître, personne ne contrôlerait les choses, alors pourquoi ne pas se servir dans les comptes ? Mais difficile d’expliquer quelque chose d’aussi énorme, qui lèse autant le CSE et les salariés ! Je n’ai jamais été confronté à de telles sommes.
Pourquoi avez-vous également saisi l’administration fiscale ?
C’est une décision des élus du CSE, adoptée dans une motion en novembre 2023. Outre le fait de viser les personnes soupçonnées de fraude, cette action, pour les élus, se justifie dans la mesure où ils estiment que le fisc a des moyens d’investigation rapides et précis pour procéder à des contrôles et solliciter d’autres administrations, et ils espèrent avoir des mesures correctives rapides. Les deux procédures se complètent. Je rappelle que dans la plainte il y a aussi un volet intimidations et menaces, car des élus qui demandaient des explications ont fait l’objet de pressions lors de certaines réunions, sur le thème : « Faites attention à vous ». Des insultes ont été consignées dans des PV de CSE.
Le parquet peut bien sûr relever d’autres infractions et requalifier. Mais pour les trois chefs d’accusation retenus pour l’instant dans l’enquête préliminaire, voyons les textes.

L’abus de confiance (art. 314-1 du code pénal) et l’abus de confiance en bande organisée (art. 314-1-1 du code pénal) sont passibles de respectivement 5 ans de prison et 375 000€ d’amende et 7 ans de prison et 750 000€ d’amende. Les menaces et intimidations (art. 434-5, art. 434-44 et art. 131-38 du code pénal) sont passibles de 3 ans de prison et 300 000€ d’amendes et d’une interdiction des droits civiques, l’amende pouvant être multipliée par 5, voire être portée à 1 million d’euros pour les personnes morales. Le délit d’entrave au fonctionnement du CSE, en comparaison, ce n’est pas grand chose (art. L. 2317-1 du code du travail) : un an de prison et une amende de 7. 500€. Au titre du CSE, nous avons envoyé aux anciens élus soupçonnés des mails leur demandant de restituer les sommes, biens et matériels mis à disposition par le comité, et soit nous n’avons eu aucune réponse, soit nous avons eu le message suivant : « On ne vous redonnera rien ».