Un consultant senior d’un bureau d’études est envoyé en mission auprès du Technocentre de Renault. Lui reprochant d’avoir eu des contacts avec les syndicats de Renault et leurs représentants en vue de les « encourager à poursuivre une manifestation contre la loi travail… par une occupation des lieux et la diffusion du film Merci patron !« , son employeur le reçoit en entretien le 16 mars 2016 pour évoquer la situation. A l’issue d’une procédure disciplinaire avec mise à pied conservatoire et entretien préalable, le salarié fait finalement l’objet d’un avertissement. Mais l’affaire ne s’arrête pas là !
Le salarié, qui avait enregistré l’entretien du 16 mars à l’insu de l’employeur et laissé diffuser son contenu sur Youtube, est licencié pour faute grave en raison d’un « manquement à ses obligations de loyauté et de bonne foi ». Ajoutons que l’enregistrement diffusé révélait qu’au cours de l’entretien du 16 mars 2016 l’employeur avait déclaré : « Donc ils surveillent, et ils surveillent les mails. Et à ton avis les mails de qui ils surveillent en priorité ? Bah les mails des syndicalistes, bien évidemment ! Je suis convaincu que tu es de bonne foi. C’est pas la question. Le problème c’est que t’as fait une grosse bêtise. C’est une grosse bêtise ; t’es pas censé en tant qu’intervenant chez Renault, discuter avec les syndicats de Renault. Les syndicats de Renault, ils sont là pour les salariés de Renault ».
Estimant que son licenciement était intervenu en violation de la protection des lanceurs d’alerte, le salarié décide d’aller aux prud’hommes en vue d’obtenir l’annulation de son licenciement.
Après une très longue procédure judiciaire, ayant donné lieu à un premier arrêt de cassation (Cass. soc., 4 nov. 2020, n° 18-15.669) l’affaire revient devant la Cour de cassation. Cette fois-ci le salarié obtient gain de cause, son licenciement est annulé.
D’abord, il est précisé dans ce nouvel arrêt du 20 décembre 2023 que « tout salarié, même s’il n’est investi d’aucun mandat, doit bénéficier de la protection accordée à l’exercice de toute activité syndicale ».
Ainsi, pour les juges, même si le salarié n’était pas titulaire d’un mandat ou ne justifiait pas d’une activité syndicale, l’échange de mails avec des syndicats du Technocentre de Renault constituait bien une activité syndicale bénéficiant de la protection contre la discrimination. Et, comme le rappelle la Cour de cassation, cette protection interdit à l’employeur « de prendre en considération l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail, sous peine d’une amende délictuelle de 3 750 euros ».
Ensuite, il est décidé que le salarié devait bien être protégé comme un lanceur d’alerte ayant « relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».
► Remarque : cette protection interdit à l’employeur de sanctionner, licencier ou discriminer un salarié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
Dans notre affaire, le salarié avait d’abord été sanctionné pour avoir échangé des messages avec les organisations syndicales du Technocentre de Renault, pour être ensuite licencié pour avoir diffusé les propos de son employeur lui reprochant ces échanges. Il en résultait donc qu’il avait été licencié pour avoir relaté des agissements portant atteinte au libre exercice d’une activité syndicale, ce qui constitue le délit de discrimination syndicale. On retombe donc bien sur la situation d’un lanceur d’alerte qui a relaté des faits constitutifs d’un délit dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.