Publiée au Journal officiel du 8 décembre 2020, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique contient plusieurs mesures destinées à faciliter la diffusion des dispositifs d’épargne salariale (participation, intéressement, PEE et PEI) et à les sécuriser. Revue de détails.
 
Nous revenons sur les dispositions concernant l’épargne salariale de la loi Asap (accélération et simplification de l’action publique), ces points n’étant pas concernés par la censure du Conseil constitutionnel.
 

Application directe sécurisée des accords de branche d’épargne salariale (art. 118)

 
L’obligation de négociation des branches est prolongée jusqu’au 31 décembre 2021
 
Pour favoriser  l’accès des TPE/PME aux dispositifs de participation et d’intéressement, les branches professionnelles étaient tenues de négocier des accords avant le 31 décembre 2017 et de fournir ainsi aux entreprises un cadre de référence (L. n° 2015-990, 6 août 2015 – dite loi Macron). Mais toutes les branches n’ayant pas respecté cette obligation, la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 (art. 155), dite loi PACTE, a, à nouveau, imposé aux branches une obligation de négociation en l’étendant aux plans d’épargne interentreprises. A noter que, même si les branches sont autorisés à instituer des PEE (C. trav., art. L. 3332-6-1 nouveau), l’obligation de négociation relative à l’épargne salariale qui leur est imposée ne porte que sur les PEI.
Initiée prioritairement par les organisations patronales, cette négociation devait être « conclue » au plus tard le 31 décembre 2020.  La loi ASAP (art. 118) reporte cette date butoir au 31 décembre 2021. Remarque : initialement, la négociation pouvait intégrer des critères réglementaires de performances relevant de la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). Cette possibilité a été supprimée par la loi ASAP.
 
Pour être appliqué par les entreprises, le dispositif d’épargne salariale de branche doit être agréé
 
Pour qu’une entreprise puisse appliquer un dispositif d’épargne salariale (intéressement, participation, PEE ou PEI) conclu au niveau de la branche, l’accord qui l’institue doit être agréé par l’administration (C. trav., art. L. L.3312-8 mod., L. 3322-9 nouv., art. L. 3332-6-1 nouv. et L. 3333-7-1 nouv.).
Concrètement, l’agrément s’obtient comme suit :
  • une fois négocié et signé, l’accord de branche doit être déposé auprès de l’autorité administrative compétente (a priori, l’autorité administrative centrale, c’est-à-dire la DGT) dans un délai et des conditions fixées par décret (à paraître) : le silence gardé par l’administration à l’issue de ce délai vaut décision d’agrément (C. trav., art. L. 3345-4, alinéa 1 à 3 mod.) ;
  • pendant ce délai réglementaire, l’administration peut demander le retrait ou la modification des dispositions contraires aux dispositions légales (contrôle de légalité) ;
  • une fois agréé (expressément ou par défaut), aucune contestation ultérieure de la conformité des termes de l’accord de branche aux dispositions légales en vigueur au moment de sa conclusion ne peut avoir pour effet de remettre en cause les exonérations sociales et fiscales attachés aux dispositifs dont les salariés des entreprises adhérentes bénéficient (C. trav., art. L. 3345-4, al. 4 mod.).
Les modalités pratiques d’application d’un accord de branche sont clarifiées
 
Jusqu’à présent, les modalités pratiques d’application par les entreprises d’un dispositif d’épargne salariale institué par leur branche n’étaient pas légalisées mais explicitées, de manière peu claires, par l’administration (Instr. DGT/TRT3/DGTRESOR/2016/45, 18 févr. 2016 ; Instr. DGT/TRT3/DGT/2019/252, 19 déc. 2019, QR n° 43). Ainsi, les entreprises pouvaient y adhérer :
  • par décision unilatérale de l’employeur pour les entreprises de moins de 50 salariés : même si leur branche était censée leur fournir un dispositif clef en main, la décision devait tout de même être notifiée à la Direccte ;
  • par conclusion d’un accord d’entreprise conclu selon les modalités propres aux dispositifs d’épargne salariale, pour les autres entreprises.
Aujourd’hui, la procédure d’adhésion est inscrite dans le code du travail (C. trav., art. L. 3312-8 modifié, L. 3322-9, L. 3332-6-1 et L. 3333-7-1 nouveaux).
Concrètement, dès lors que l’accord de branche instituant le dispositif d’épargne salariale est agréé, toute entreprise peut faire application du dispositif de branche selon les modalités suivantes :
  • les entreprises de 50 salariés et plus doivent conclure à cet effet un accord selon les modalités propres à la participation, l’intéressement ou les plans d’épargne salariale : cet accord doit être déposé sur la plateforme Téléaccords.fr ;
  • les entreprises de moins de 50 salariés peuvent opter pour l’application directe du dispositif de branche au moyen d’un document unilatéral d’adhésion, si l’accord de branche prévoit cette possibilité et propose sous forme d’accord-type indiquant les différents choix laissés à l’employeur, des stipulations spécifiques pour ces entreprises : ce document doit indiquer les choix que l’employeur a retenus après en avoir informé le CSE (s’il en existe un) et les salariés par tous moyens, et doit ensuite être déposé sur la plateforme Téléaccords.fr.

► Remarque : une entreprise de moins de 50 salariés ne pourra donc pas adhérer unilatéralement à un dispositif de branche si l’accord qui l’institue ne l’y autorise pas expressément et/ou s’il ne propose pas d’accord-type. Elle devra conclure un accord, comme toute entreprise de 50 salariés et plus.

La date d’application de ces mesures pose question
 
En l’absence de précision législative, les mesures susvisées entrent en vigueur à compter du  9 décembre 2020 (soit au lendemain de la publication de la loi). Mais sont-elles applicables, à compter de cette date, aux dispositifs d’épargne salariale de branche préexistants ? En principe, sauf dispositions légales contraires, une loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a pas d’effet rétroactif. Dès lors, très logiquement, ces nouvelles mesures ne seront pas applicables aux dispositifs d’épargne salariale de branche conclus sous l’empire de la législation antérieure.
Ceci dit, les entreprises qui, dans l’avenir, voudront appliquer un dispositif de branche institué avant la loi ASAP (en d’autres termes, non agréé) pourront-elles le faire ?  La question se pose car, dès la publication du décret fixant les modalités pratiques de l’agrément administratif, l’application d’un accord de branche relatif à l’épargne salariale par les entreprises entrant dans son champ sera conditionnée à l’agrément de cet accord (voir développements précédents). Une clarification des textes serait bienvenue sur ce point car la plupart des branches pourvues de tels accords les ont conclus à durée indéterminée ; elles ne sont donc vraisemblablement pas prêtes à renégocier un nouvel accord ou à procéder à une révision de l’accord par avenant (soumis tous deux à la procédure d’agrément).

► Remarque : parmi les branches pourvues de dispositifs d’épargne salariale préexistants à la loi ASAP, citons la branche de l’ameublement (négoce), la branche du notariat, la branche du thermalisme ou bien encore la branche Création et événement (entreprises techniques). 

En outre, les exonérations dont bénéficient les entreprises appliquant un dispositif de branche pris sous l’empire de l’ancienne législation risquent-elles d’être remises en cause pour non-conformité à la loi ? Même s’il y a fort à parier que les contrôleurs Urssaf feront preuve de mansuétude sur ce point, sans directive de l’Acoss, la question reste posée.
 
Durée de l’accord d’intéressement : elle pourra être comprise entre 1 et 3 ans (art. 121)
 
Les accords conclus à compter du 9 décembre 2020 (soit au lendemain de la publication de la loi) ne le seront plus obligatoirement pour 3 ans ou 3 exercices mais pour une période comprise entre 1 à 3 ans. Les accords tacitement reconduits le seront pour une durée égale à la durée initiale (C. trav., art. L. 3312-5 modifié).
Cette nouvelle souplesse devrait favoriser la mise en place de ce dispositif pour toutes les entreprises qui ne peuvent pas définir sur plusieurs années une formule de calcul sur la base d’indicateurs pertinents liés à leurs résultats ou à leurs performances, soit en raison du contexte économique actuel, soit parce qu’il s’agit de jeunes entreprises en croissance.
Rappelons que cette possibilité avait été temporairement ouverte entre le 1er janvier et le 31 août 2020 (pour les entreprises souhaitant distribuer une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat excédant 1 000 €) puis pérennisée à partir du 19 juin 2020, pour les seules entreprises de moins de 11 salariés dépourvues de délégué syndical et de CSE.
Remarque : ces entreprises pouvaient mettre en place un dispositif d’intéressement pour une durée comprise entre 1 et 3 ans par décision unilatérale si aucun intéressement ne s’appliquait ou n’avait été conclu dans l’entreprise depuis au moins 5 ans avant la date d’effet de la décision. A l’issue de cette période, le dispositif pouvait être renouvelé mais selon les modalités de mise en place applicables à toute entreprise. Dorénavant, elles pourront toujours procéder par DUE mais ne seront plus soumis aux règles contraignantes relatives à la durée de l’accord.
 
Transfert partiel du contrôle de légalité aux Urssaf à compter du 1er septembre 2021 (art. 119)
 
Pour les accords et règlements déposés à compter du 1er septembre 2021, le contrôle de légalité sera partagé entre la Direccte (qui continuera de contrôler les formalités de dépôt de l’accord ainsi que ses modalités de négociation, de dénonciation et de révision) et l’Urssaf ou la CGSS (chargées, elles, de contrôler l’accord sur le fond).
Nouvelle procédure du contrôle de légalité (ou de conformité) : ce que l’on sait déjà
La nouvelle procédure du contrôle de légalité (ou conformité) sera fixée par décret (à paraître). 
Concrètement, cette procédure devrait s’articuler ainsi :
  • l’accord ou le règlement devra être déposé sur la plateforme Téléaccords.fr (et, s’il s’agit d’un accord collectif de travail, au greffe du Conseil de Prud’hommes) dans les conditions et délais fixés par le code du travail ;
  • la Direccte disposera d’un délai (fixé réglementairement mais vraisemblablement assez court compte tenu du champ restreint de son contrôle) pour délivrer un récépissé qui attestera du dépôt d’un accord ou d’un règlement valablement conclu : à défaut de récépissé dans le délai imparti ou de demande de pièces complémentaires ou de d’observations formulées par la Direccte dans ce délai, l’acte sera réputé valablement conclu ;
  • simultanément à la délivrance du récépissé (ou, à défaut, à l’expiration du délai susvisé), la Direccte transmettra l’accord ou le règlement (et, le cas échéant, son récépissé) à l’Urssaf ou la CGSS  ;
  • à compter de cette transmission, l’Urssaf ou la CGSS disposera d’un délai (fixé réglementairement, probablement plus long que celui de la Direccte) pour demander le retrait ou la modification des clauses contraires aux dispositions légales (à l’exception, bien entendu, de celles relatives aux modalités de dénonciation et de révision des accords, compétence exclusive de la Direccte) ;
  • en l’absence de demande de l’Urssaf dans ce délai, aucune constestation ultérieure de la conformité des termes de l’accord ou du règlement aux dispositions légales en vigueur au moment de sa conclusion  ne pourra avoir pour effet de remettre en cause les régimes social et fiscal de faveur attachés au dispositif contrôlé.
Cette nouvelle procédure de contrôle ne devra pas excéder 4 mois, tous délais confondus.
Comme la Direccte aujourd’hui, l’Urssaf disposera, pour contrôler un accord d’intéressement, d’un délai supplémentaire de 2 mois à compter de l’expiration du premier délai (C. trav., art. L. 3313-3 modifié au 1er septembre 2021). Les effets de ce contrôle en deux temps sur la sécurisation des exonérations sociales et fiscales attachées à l’accord d’intéressement demeureront identiques.
 
Des modifications de bon sens mais pas de transformation radicale du contrôle de légalité
 
Les modifications apportées par la loi ASAP ne transforment pas radicalement le contrôle de légalité actuel. Si l’Urssaf ne pourra pas contester la conformité des termes de l’accord, elle pourra toujours redresser une entreprise qui applique un accord ou un règlement formellement recevable mais dont l’application méconnaît les lois, règlements et principes fondamentaux le gouvernant.
Ces modifications ont uniquement pour objet le transfert du contrôle au fond aux Urssaf, plus légitimes et mieux armées que les Direccte en la matière.
 
PEI : instauration et adhésion par décision unilatérale (art. 122)
 
Si les entreprises qui souhaitent mettre en place conjointement un plan d’épargne ne remplissent pas les critères d’un groupe, elles peuvent toujours opter pour un plan d’épargne interentreprises (PEI).
Ce PEI peut être créé :
  • au niveau d’une branche professionnelle : les branches sont même incitées à négocier sur le sujet (voir développements précédents) ;
  • au niveau d’une zone géographique (région, département, bassin d’emploi) ;
  • entre plusieurs entreprises prises individuellement et nominativement identifiées.
Dans les deux premiers cas, l’accord instituant le PEI doit être négocié selon les règles de droit commun de la négociation collective (livre II de la 2e partie du code du travail) (C. trav., art. L. 3333-2, alinéa 1 inchangé).
Jusqu’à présent, un PEI mis en place entre plusieurs entreprises prises individuellement ne pouvait être conclu que par accord collectif de travail signé entre un ou plusieurs délégués syndicaux et chaque employeur, par accord négocié avec le CSE ou par accord ratifié par les deux tiers des salariés. Il ne pouvait jamais être mise en place par décision unilatérale de l’employeur.
La loi ASAP autorise sa mise en place par décision unilatérale.
Désormais, un PEI institué entre plusieurs employeurs pris individuellement, dépourvues d’IRP, peut être établi par accord ratifié par le personnel ou unilatéralement. Dans ce cas, le plan doit être appprouvé dans les mêmes termes au sein de chacune des entreprises et celles qui souhaitent y adhérer ou en sortir doivent le faire suivant l’une de ces modalités (C. trav., art. L. 3333-2, alinéa 2 modifié).
 
► Remarque : ces nouvelles modalités de mise en place sont également applicables aux plans d’épargne retraite d’entreprise collectifs interentreprises (PEREC-I).
En cas de mise en place ou d’adhésion par DUE, l’employeur est tenu de communiquer la liste nominative des salariés concernés à l’organisme teneur du compte de conservation des parts, à charge pour cet organisme d’informer nominativement par courrier chaque salarié de l’existence d’un PEI dans l’entreprise (C. trav., art. L. 3333-3-1 nouveau).