La disposition n’est pas nouvelle : l’élu CSE et le représentant syndical au CSE sont des salariés protégés. L’employeur ne peut pas les licencier sans y être autorisé par l’inspection du travail et sans avoir, au préalable, informé et consulté le CSE, le comité social et économique, énonce l’article L. 2421-3 du code du travail pour les entreprises d’au moins 50 salariés, cette consultation venant elle-même quelques jours après l’entretien préalable entre l’employeur et le salarié.
Mais le texte en vigueur, tel que modifié par les ordonnances travail de 2017, inquiète certains employeurs et leurs avocats, au point que certains envisagent de saisir à ce sujet la DGT, la Direction générale du travail (*). En effet, certains avocats d’élus du personnel soutiennent, sur la base de cet article L. 2421-3, que le CSE dispose du délai normal d’un mois pour rendre son avis lorsqu’il est consulté en vue d’un licenciement d’un salarié protégé (**). « Ce n’est peut-être pas ce que souhaitait le législateur, mais c’est la lecture stricte qu’on peut faire des textes en vigueur », analyse Bénédicte Rollin, du cabinet JDS avocats.
« La règle d’interprétation est simple, renchérit Judith Krivine, autre avocate au service des salariés. On applique les délais de consultation normaux pour le CSE sauf si une disposition spéciale existe, comme pour le plan de sauvegarde de l’emploi, par exemple ». Rien de tel ici : l’article L. 2421-3 du code du travail renvoie, pour la question du délai et des conditions dans lesquels le comité rend son avis, non pas à une règle spécifique, mais à tout un pan du code (les dispositions de la « section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III »). Or cet ensemble de texte traite des institutions représentatives du personnel, des attributions du CSE et donc des modalités normales de consultation, sans texte spécifique sur la consultation liée au licenciement d’un salarié protégé.
« Je n’ai jamais été confrontée à une telle demande de la part d’un CSE au sujet de ce délai d’un mois. Mais c’est à mon avis une possibilité à utiliser, sans en abuser, surtout lorsque les élus estiment que l’employeur a du mal à justifier sa volonté de licencier », réagit Isabelle Taraud, avocate spécialisée dans la défense des salariés et de leurs représentants. Bénédicte Rollin nous cite à ce propos le cas d’un projet de licenciement très mal étayé par un employeur qui visait un salarié ayant 20 ans d’ancienneté et jusque là irréprochable.
Aux yeux d’Isabelle Taraud, le CSE qui a des doutes sur les éléments présentés par l’employeur pour justifier un licenciement serait fondé à demander à l’entreprise des informations complémentaires et donc, dans l’attente de ces informations, à ne pas rendre tout de suite son avis mais à demander une nouvelle réunion pour le faire. « Un employeur qui passerait outre en transmettant à l’administration sa demande d’autorisation de licenciement avant l’expiration d’un délai d’un mois pourrait prendre un risque : celui de voir l’inspection ne pas entériner sa demande faute d’une consultation régulière du CSE », souligne-t-elle.
En l’absence de réponse, le comité pourrait interpeller l’inspection du travail voire même saisir le juge judiciaire avant la fin du délai d’un mois pour réclamer des éléments voire un délai supplémentaire pour rendre son avis, soutient également Isabelle Taraud. En revanche, la possibilité pour le CSE de financer une expertise libre dans le cadre de cette consultation n’aurait que peu d’intérêt. D’abord, l’expert libre nommé par le CSE ne dispose pas d’un pouvoir d’investigation. Ensuite, cette désignation ne reporterait a priori pas les délais (***). Rappelons par ailleurs qu’au bout d’un mois, même s’il n’a pas rendu d’avis, le CSE est réputé l’avoir fait : jouer la montre peut donc être dangereux.
D’ailleurs, c’est le conseil que donne aux employeurs Etienne Pujol, avocat côté entreprises chez BerryLaw : « Je n’ai jamais été confronté à ce problème. Mais si cela arrivait, en l’absence d’avis explicite du CSE, je conseillerais à mon client d’attendre un mois pour demander l’autorisation », nous répond-il. Et ce dernier d’ajouter, compte-tenu du contrôle opéré par l’inspection du travail : « On ne peut pas lancer une telle procédure contre un salarié protégé à la légère ».
Un autre avocat d’entreprise dit n’avoir pas rencontré de souci sur ce sujet. En revanche, la question de la consultation du CSE sous les 50 salariés a constitué un problème mais, dit-il, ce point est réglé, le Conseil d’Etat ayant clairement fermé la porte à cette éventualité (voir l’avis du Conseil d’Etat rendu le 29 décembre 2021).
Pour les CSE d’au moins 50 salariés, cette question technique du délai, et les stratégies de défense qu’elles permettent pour les conseils des représentants du personnel, constitue donc un enjeu pour les salariés protégés comme pour les employeurs, même s’il ne faut sans doute pas minimiser le fait que ces départs se règlent souvent en amont via une rupture conventionnelle.
Pour les employeurs, une procédure de licenciement doit s’inscrire dans un temps court, comme cela se faisait jusqu’à présent, lorsque le comité était réuni quelques jours après l’entretien préalable et que les élus votaient leur avis dans la même réunion.
Les contentieux pourraient donc se nourrir de ces différends. Le Conseil d’Etat pourrait donc être amené à trancher la question en clarifiant la base sur laquelle doit s’exercer le contrôle de régularité de la consultation par l’employeur du CSE. Invoquerait-il alors l’argument d’une recodification à droit constant pour en revenir à une consultation urgente lors de laquelle le CSE doit donner son avis ? Cette solution présente toutefois deux difficultés : d’une part, l’argument de la stabilité juridique est contestable au regard de l’ampleur des changements opérés concernant les institutions représentatives du personnel en 2017; d’autre part, dans le cadre d’une procédure normale, le code du travail ne précisait pas le délai dans lequel devait intervenir la consultation du comité pour autoriser l’employeur à licencier un salarié protégé (***). A moins que le Conseil d’Etat n’entérine le délai d’un mois de consultation… Dans ce dernier cas, on pourrait imaginer que les représentants des employeurs et leurs conseils poussent le législateur à s’emparer de la question…
(*) La rédaction a également sollicité sur ce point la DGT
(**) En revanche, en cas de faute grave du salarié protégé, l’employeur peut prononcer sa mise à pied conservatoire et la réunion du CSE doit se tenir dans les 10 jours à compter de la mise à pied (art R. 2421-14).
(***) Dans un arrêt du 11 mai 2023, la cour d’appel de Versailles a toutefois jugé que le délai de deux mois en cas d’expertise s’appliquait pour toutes les expertises, y compris celles dites libres (lire notre article).
(****) C’est ce qu’écrivent plusieurs auteurs d’ouvrages de référence : Le Droit du licenciement des salariés protégés, 6e édition, Economica, Céline Boetsch, Alexandre Chaloyard, Pauline Ozenne, Hubert Rose, Yves Struillou. Ou encore Le droit des comités sociaux et économiques et des comités de groupe, Maurice Cohen – Laurent Milet, LGDJ, 2023.
Le texte de l’article L. 2421-3 du code du travail
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Voici ci-dessous la version en vigueur de l’article L. 2421-3 du code du travail, suite à la modification de l’ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017. « Le licenciement envisagé par l’employeur d’un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d’un représentant syndical au comité social et économique ou d’un représentant de proximité est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III. L’avis est réputé acquis nonobstant l’acquisition d’un nouveau mandat postérieurement à cette consultation. Lorsqu’il n’existe pas de comité social et économique dans l’établissement, l’inspecteur du travail est saisi directement. La demande d’autorisation de licenciement est adressée à l’inspecteur du travail dont dépend l’établissement dans lequel le salarié est employé. Si la demande d’autorisation de licenciement repose sur un motif personnel, l’établissement s’entend comme le lieu de travail principal du salarié. Si la demande d’autorisation de licenciement repose sur un motif économique, l’établissement s’entend comme celui doté d’un comité social et économique disposant des attributions prévues à la section 3, du chapitre II, du titre I, du livre III. En cas de faute grave, l’employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l’intéressé dans l’attente de la décision définitive. Si le licenciement est refusé, la mise à pied est annulée et ses effets supprimés de plein droit. »
► Ndlr : avant 2018, l’ancienne écriture de cet article du code du travail (art. L.2421-3) qui traitait de la consultation du CE ne comprenait pas le renvoi « aux conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III ». |
Source – Actuel CSE