Le temps passé en heures de délégation par les représentants du personnel est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l’échéance normale. L’employeur qui entend contester l’utilisation faite des heures de délégation doit d’abord les payer, puis saisir le juge judiciaire (articles L.2142-1-3, L.2143-17 et L.2315-10 du code du travail). C’est sur cette question que portait le litige soumis à la Cour de cassation dans cette affaire, opposant un employeur à un salarié investi de plusieurs mandats représentatifs
En l’espèce, le salarié était investi de mandats de délégué syndical, de représentant syndical au comité d’établissement, de membre du CHSCT, de conseiller prud’homme et de défenseur syndical. Il exerçait ses fonctions représentatives à temps complet depuis plusieurs années. En 2018, l’employeur lui a demandé de reprendre une activité professionnelle effective : il considérait en effet que la durée de ses mandats ne couvrait plus l’intégralité de son temps de travail. Il a cessé de lui verser la partie de son salaire correspondant, selon lui, au travail effectif que le salarié aurait dû fournir. Ce dernier a saisi en 2019 le juge des référés afin d’obtenir un rappel de salaire et des dommages-intérêts.
L’employeur, condamné par la formation de référé à payer au salarié les retenues qu’il avait opérées, conteste la décision des juges du fond. Il soutient que la formation de référé ne pouvait pas le condamner à verser une provision au salarié, dans la mesure où il justifie d’une contestation sérieuse. Selon lui, en effet, l’obligation de paiement à l’échéance normale des heures de délégation prévue par le code du travail ne s’appliquerait que lorsque c’est l’utilisation faite par le salarié de ses heures qui est contestée. En revanche, cette présomption de bonne utilisation ne s’appliquerait pas lorsque c’est la quotité d’heures de délégation dont dispose le salarié qui, comme en l’espèce, est en litige. Par conséquent, l’existence même de l’obligation de payer les heures étant contestable, la formation de référé n’était pas compétente et ne pouvait pas le condamner au versement d’une provision sur les heures concernées.
► Rappelons que, si le code du travail impose de payer les heures de délégation à l’échéance normale, et avant toute contestation, c’est parce que celles-ci sont présumées avoir été bien utilisées (arrêt du 19 mai 2016). L’objectif de cette règle est d’empêcher toute pression de l’employeur ou toute interférence dans l’exercice de son mandat par le représentant du personnel. Cette présomption peut toutefois être renversée par l’employeur s’il prouve, a posteriori, que les heures n’ont pas été utilisées conformément à leur objet : le salarié doit alors rembourser les sommes perçues (arrêt du 30 novembre 2004).
La Cour de cassation rejette les arguments de l’employeur et approuve la décision des juges du fond. Elle appuie son raisonnement, d’une part, sur les dispositions précitées du code du travail, selon lesquelles le temps de délégation est de plein droit considéré comme du temps de travail, et, d’autre part, sur l’article R.1455-6 de ce code, qui dispose que la formation de référé peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite. En d’autres termes, peu importe le motif de la contestation : dès lors que les retenues sur salaire correspondent à des heures de délégation, il y a trouble manifestement illicite que le juge des référés est en droit de faire cesser. Il appartiendra, en l’espèce, aux juges du fond de déterminer si les mandats détenus par le salarié couvraient ou non l’intégralité de son temps de travail et, le cas échéant, de le condamner à rembourser à l’employeur la provision obtenue en référé.
► La solution n’est pas nouvelle. La Cour de cassation a déjà jugé que le conseil de prud’hommes, constatant que l’employeur refuse de payer les heures de délégation à l’échéance normale, peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures qui s’imposent pour faire cesser ce trouble manifestement illicite (arrêts du 10 janvier 2006, n° 04-46.838 et 04-46.839). La règle est valable même si la contestation porte non pas sur l’utilisation des heures, mais sur la caducité ou la validité du mandat auquel elles sont attachées (arrêt du 28 septembre 2005).
L’employeur obtient en revanche gain de cause, devant la Cour de cassation, sur les dommages-intérêts auxquels l’a condamné la cour d’appel en raison du non-paiement des heures de délégation. Les juges du fond l’ont en effet condamné à verser au salarié 2 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le défaut de paiement des heures de délégation, dans l’attente de la décision sur le fond de l’affaire.
La Cour de cassation censure cette décision, en se fondant sur l’article 1231-6 du code civil. Un retard de l’employeur dans le paiement des sommes dues au salarié ne peut justifier sa condamnation au paiement de dommages-intérêts qu’à la double condition pour ce dernier :
- de justifier d’un préjudice distinct de celui que réparent les intérêts de retard ;
- et d’établir que la carence de l’employeur résulte de sa mauvaise foi, qui ne se présume pas.
En l’espèce, faute d’une telle preuve, la cour d’appel ne pouvait pas accorder des dommages-intérêts au salarié.
► La solution, classique en matière de rappel de salaire, a déjà été retenue à propos des heures de délégation des représentants du personnel (arrêt du 4 octobre 1979 ; arrêt du 21 janvier 2009) et des frais de déplacement exposés pour l’exercice du mandat (arrêt du 25 mars 2020). Elle signe l’abandon d’une décision ancienne, et antérieure à la remise en cause du principe du « préjudice nécessaire », par laquelle la Cour de cassation avait jugé que la résistance opposée par un employeur à la réclamation du salarié relative au paiement des heures de délégation était nécessairement fautive et justifiait la réparation de son préjudice (arrêt du 18 juin 1997).