Selon l’institut des politiques publiques, de très nombreuses entreprises sous-estimeraient volontairement leurs effectifs au voisinage du seuil de 50 salariés dans leurs déclarations fiscales. Ce comportement serait facilité par l’insuffisance des contrôles.

Seules 10 à 20% des entreprises françaises – toutes tailles confondues – déclareraient correctement leurs effectifs à l’administration. Et parmi les entreprises « défaillantes », elles seraient bien plus nombreuses à sous-déclarer qu’à sur-déclarer leurs salariés. Dans le détail, la proportion d’entreprises sous-déclarantes augmenterait très fortement au voisinage du seuil de 50 salariés (de l’ordre de 70%).

Ce constat édifiant est dressé par l’Institut des politiques publiques (IPP) dans une note récente. Cependant, les données utilisées sont relativement anciennes (de 2006 à 2016). La situation est-elle la même aujourd’hui ? L’analyse de l’IPP a toutefois le mérite de soulever une problématique « de taille ».

Le seuil redouté de 50 salariés

Pour apprécier la part d’entreprises qui font des déclarations erronées, l’institut des politiques publiques a comparé l’effectif déclaré par l’employeur dans les données fiscales (1) à un effectif « reconstruit » à partir des DADS (déclarations annuelles de données sociales) et « non manipulable » (2). Rappelons que la DSN (déclaration sociale nominative) a remplacé la DADS depuis 2017 (sauf pour certains employeurs).

Résultat : lorsque l’IPP recalcule directement l’effectif des entreprises à partir des données sociales (DADS), il n’y a plus aucun pic à 49 salariés. « C’est donc l’effectif déclaré par l’employeur et non l’effectif réel qui plafonne à 49 salariés ». 

Pour quelles raisons des entreprises refusent-elles de franchir ce seuil ? Pour éviter les obligations légales qui leur incombent, relève l’IPP. En effet, le seuil de 50 salariés déclenche notamment la mise en place obligatoire d’un comité d’entreprise (à l’époque de l’analyse des données ; depuis 2018, les entreprises d’au moins 11 salariés doivent mettre en place un comité social et économique – CSE), la mise en place d’un plan de participation des salariés aux résultats de l’entreprise, ou encore la nomination obligatoire d’un commissaire aux comptes (au-delà de 50 salariés, combiné à un seuil de total de bilan ou de chiffre d’affaires). 

Or, la mise en oeuvre de telles obligations représente un « coût administratif immédiat » pour le chef d’entreprise, souligne la note. « Un dirigeant peut notamment souhaiter ne pas payer ces coûts si l’effectif dépasse le seuil seulement pour faire face à une hausse ponctuelle de l’activité ». La sous-déclaration permet alors de retarder de quelques années le moment d’appliquer les règles en vigueur au-delà du seuil. Des raisons plus personnelles peuvent également pousser les chefs d’entreprise à sous-déclarer, par exemple la crainte de perdre leur pouvoir décisionnel.

A noter que depuis 2020 (via la loi Pacte de 2019), pour être franchi, un seuil d’effectif (fixé par la Sécurité sociale) doit être atteint ou dépassé pendant 5 années civiles consécutives, sachant que cela ne concerne pas les CSE pour lesquels la durée de franchissement exigée reste d’un an (pour la création d’un CSE à partir de 50 salariés, par exemple).

Comportements peu risqués

Ces comportements de sous-déclaration seraient d’autant plus courants qu’ils sont peu risqués. « Les entreprises peuvent sans crainte de sanctions et sans nécessairement se faire contrôler sous-déclarer leur effectif fiscal », indique la note. « L’effectif mentionné dans les déclarations fiscales n’a pas d’incidence directe sur l’imposition des sociétés » (voir cependant notre article). Car « contrairement aux DADS, une déclaration erronée ne peut générer une sanction fiscale et ne constitue donc pas une information sur laquelle les contrôleurs fiscaux focalisent leur attention », est-il expliqué.

De même, cela « n’intéresse pas non plus l’inspection du travail ni les agents des Urssaf car justement l’ensemble des dispositifs des codes du travail ou de la sécurité sociale sont basés sur d’autres concepts de taille d’entreprise ». L’IPP démontre que le respect des principales obligations légales au seuil de 50 salariés dépend en pratique de l’effectif déclaré dans les liasses fiscales, alors même que cet effectif ne correspond pas au concept d’effectif retenu par la loi pour ces obligations (effectif calculé en nombre d’ETP – équivalent temps plein). Par exemple, la note indique que c’est bien la taille de l’entreprise que les employeurs déclarent dans les données fiscales qui déclenche la mise en place des CSE.

Ces pratiques d’entreprises s’expliquent par « la mise en place de réglementations complexes, reposant sur des concepts d’effectif difficiles à mesurer, combinée à l’absence de modalités de contrôle suffisamment réfléchies », constate l’institut des politiques publiques. Qui incite donc les pouvoirs publics à « mobiliser systématiquement des sources de données fiables pour contrôler la taille des entreprises et faire respecter le droit du travail ».

 

(1) Il existe plusieurs sources de données fiscales pour mesurer l’effectif des entreprises : les données FICUS (jusqu’en 2007) qui proviennent des déclarations fiscales des entreprises soumises au régime des BIC et BNC (l’effectif est calculé comme la moyenne arithmétique des effectifs en fin de chaque trimestre de l’exercice comptable) / les données DIANE collectées auprès des greffes de tribunaux de commerce (identiques aux données FICUS sauf si l’entreprise a déposé des comptes différents devant l’administration fiscale et devant les greffes des tribunaux de commerce / les données FARE (depuis 2008) contenant les informations comptables issues des liasses fiscales des entreprises soumises aux régimes BIC, BNC et BA (seules ces données sont retraitées par l’Insee).

(2) Dans le volet postes des DADS, les employeurs fournissent annuellement pour chaque salarié entre autre, les dates de début et de fin de période de paie, ainsi que le nombre d’heures salariées. Elles sont utilisées pour le recalcul des mesures d’effectifs.

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