Si l’employeur ne peut pas décider de mesures discriminatoires qui seraient fondées sur l’exercice d’un mandat de représentant du personnel, il peut en revanche tenir compte des missions exercées pour décider de formations ou pour le déroulement de carrière dès lors qu’un accord collectif le prévoit et que ce dernier ne porte pas atteinte à la liberté syndicale.

Dans quelle mesure l’employeur peut-il tenir compte du mandat dans l’évaluation des fonctions occupées par un salarié par ailleurs représentant du personnel ? L’équilibre est difficile et la frontière ténue entre le risque de discrimination et la valorisation des parcours syndicaux sur laquelle l’accent est mis depuis plusieurs années. La loi Rebsamen du 17 août 2015 a par ailleurs fortement incité les entreprises à s’emparer du sujet de la conciliation entre le mandat et la vie professionnelle et privé du salarié. 

Un arrêt rendu le 9 octobre 2019 illustre ce qu’il est possible de faire dans le cadre d’un accord d’entreprise afin de tenir compte des compétences acquises par le salarié dans le cadre de son mandat. 

Accord collectif pour accompagner l’exercice d’un mandat

Le 28 janvier 2016, un accord sur le parcours professionnel des représentants du personnel est signé au sein du groupe BPCE et la CFDT, l’Unsa et la CFE-CGC. L’accord prévoyait notamment un entretien d’appréciation des compétences et d’évaluation professionnelle alimenté notamment par un référentiel des compétences transversales entre les métiers et le mandat. 

La fédération CGT des syndicats du personnel de la banque et de l’assurance (FSPBA-CGT) et le syndicat CGT des personnels de Natixis contestent l’accord en justice. Selon eux, une telle mesure revient à prendre en considération l’exercice de l’activité syndicale des salariés pour arrêter des décisions en matière de formation professionnelle, d’avancement ou de rémunération, alors que cette pratique est prohibée. Ils craignent qu’une telle évaluation « dont les résultats sont intégrés dans le cadre de la gestion de carrière et du parcours professionnel des représentants du personnel [conduise] l’employeur à définir, avec le salarié concerné, des axes de progrès avec élaboration éventuelle d’un plan de progrès pouvant comporter des actions de formation ou d’accompagnement » et que, dès lors, l’employeur [soit] amené à prendre en considération l’évaluation qu’il fait de la façon dont le représentant du personnel concerné exerce ses mandats pour arrêter ses décisions le concernant en matière de formation, d’avancement ou de rémunération ». 

Une possibilité offerte par la loi

Mais ni la cour d’appel ni la Cour de cassation ne vont donner raison aux organisations syndicales.

La Cour de cassation rappelle les termes de l’article L.2141-5 du code du travail. Si cette disposition interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions, il n’en demeure pas moins qu’un accord collectif peut décider des mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes. Cet accord peut ainsi permettre la prise en compte de l’expérience acquise, dans le cadre de l’exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle.

Le code du travail ouvre aussi la possibilité à tout représentant du personnel de bénéficier d’un entretien individuel avec son employeur portant sur les modalités d’exercice pratiques de son mandat au sein de l’entreprise au regard de son emploi. Il peut également bénéficier d’un entretien au terme de son mandat. Lorsque que le titulaire du mandat dispose d’heures de délégation sur l’année représentant au moins 30 % de la durée de travail fixée dans son contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement, l’entretien permet de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise.

Attention : cet entretien ne se peut pas se substituer à l’entretien professionnel prévu à l’article L.6315-1 du code du travail. 

Ces dispositions législatives ouvrent donc la possibilité pour l’employeur de prendre en compte, dans l’évolution professionnelle du salarié, l’expérience qu’il a acquise dans l’exercice de ses mandats représentatifs ou syndicaux. Cela suppose qu’un accord collectif le prévoit et que cela soit fait en association étroite avec  l’organisation  syndicale. Un tel dispositif, facultatif pour le salarié, permet à l’employeur d’isoler les compétences ainsi acquises dans le cadre du mandat et qui peuvent, in fine, donner lieu à une proposition de formation et dont l’analyse est intégrée dans l’évolution de carrière du syndicat. 

Pas d’atteinte à la liberté syndicale

En l’espèce, l’accord collectif avait prévu – après négociation avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise – un référentiel dont l’objet est d’identifier les compétences ainsi que leur degré d’acquisition dans le but de les intégrer au parcours professionnel du salarié. La Cour de cassation valide ce dispositif en retenant plusieurs points constatés par les juges du fond : 

  • la négociation comprend une phase d’expérimentation, sur la mise en place pour les représentants du personnel d’un entretien d’appréciation des compétences et d’évaluation professionnelle, ce qui a permis la prise en compte de plusieurs suggestions des organisations syndicales ;
  • l’appréciation des compétences est menée selon un processus en plusieurs étapes sous le regard croisé de l’organisation syndicale du salarié et d’un représentant de l’employeur qui doit avoir participé aux instances dans lesquelles le salarié exerce son mandat ; 
  • les critères d’appréciation sont objectifs et vérifiables ;
  • le référentiel prévoit un caractère transversal entre les métiers et le mandat des compétences contenues dans le référentiel.

Dès lors, en conclut la Cour de cassation, « l’appréciation des compétences mises en oeuvre dans le cadre du mandat du représentant du personnel reposait sur des éléments précis et objectifs qui font l’objet d’une méthodologie excluant toute discrimination ou atteinte à la liberté syndicale ». 

Source – Actuel CE