Nul besoin de rester à son domicile ou à proximité pour être en astreinte, selon la loi Travail de 2016. Dans un arrêt rendu le 12 juillet 2018, la Cour de cassation applique cette règle à des faits remontant à 2009. Une entreprise obligeait les directeurs d’agence à rester en permanence disponibles via leur téléphone portable, afin de répondre aux urgences.

Lorsque ce salarié est promu directeur d’agence, son employeur lui explique que son nouveau poste implique de nouvelles responsabilités. En vertu d’un document interne à l’entreprise intitulé « procédure de gestion des appels d’urgence », les coordonnées des directeurs d’agence, superviseurs ou chefs d’équipe sont communiquées à la société qui gère les appels d’urgence. A chaque réception d’appel en dehors des heures et jours de travail, les responsables sont contactés et doivent prendre les mesures adéquates pour résoudre l’urgence en question. En conséquence, ils doivent laisser en permanence leur téléphone portable allumé.

Licencié quelques années plus tard, le directeur d’agence réclame à l’entreprise des rappels d’indemnités d’astreinte. La convention collective applicable à l’entreprise prévoit en effet des primes d’astreintes auxquelles le salarié estime avoir droit, puisqu’il devait rester en permanence disponible pour son employeur. Les juges du fond acquiescent, et condamnent l’entreprise à verser à cet ancien salarié plus de 60 000 euros de rappels de primes d’astreinte.

Pas d’obligation de permanence à domicile

Devant la Cour de cassation, la société affirme que le salarié n’était pas en astreinte : d’abord, son contrat de travail ne le prévoyait pas, ensuite la convention collective indique que l’astreinte est prévue « dans le cas où un salarié doit assurer une permanence téléphonique à son domicile ». De même, elle rappelle que le code du travail (dans sa version en vigueur au moment des faits) définit l’astreinte comme « une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, a l’obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d’être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise ». Or, soutient l’employeur, le directeur d’agence n’était pas soumis à une obligation de tenir une permanence téléphonique à son domicile ou à proximité.

Cet argumentaire semble solide, car les faits remontent à 2009. En effet, la loi Travail d’août 2016 a supprimé de la définition de l’astreinte la mention liée à la présence du salarié « à son domicile ou à proximité ». Cette condition a donc disparu et l’astreinte s’entend, depuis le 10 août 2016, comme une « période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise ». Les faits soumis à la Cour de cassation étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi. La Cour aurait donc dû exclure la qualification d’astreinte en l’absence d’obligation pour le salarié de rester à son domicile.

C’est une solution qu’elle a d’ailleurs adoptée pour refuser des primes d’astreinte, à l’occasion de deux arrêts rendus tout récemment. D’abord au sujet d’un directeur de magasin contacté régulièrement par la société de télésurveillance en charge de son établissement (arrêt du 25 janvier 2017), ensuite au sujet d’un responsable d’atelier qui apportait la preuve qu’il était appelé « à n’importe quelle heure du jour et de la nuit » pour des interventions ponctuelles sur son lieu de travail (arrêt du 17 mai 2018). Dans les deux cas, pas de domicile imposé, donc pas de prime.

La consigne était expressément donnée par l’entreprise

Mais cette fois-ci, la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’entreprise. Elle souligne que la procédure mise en place dans l’entreprise oblige certains salariés à rester en permanence disponible via leur téléphone portable, afin de se tenir prêt à intervenir en cas de besoin. Dès lors, ces salariés ont droit à la prime d’astreinte.

Comment expliquer ce volte-face ? D’abord, les faits étaient sensiblement différents. Dans les deux arrêts précités, les permanences téléphoniques opérées par les salariés n’étaient le produit d’aucun texte interne à l’entreprise, et ils n’avaient reçu aucune consigne formelle, au contraire du directeur d’agence pour lequel l’entreprise prévoyait une procédure écrite. Ce texte imposait formellement une « obligation de rester en permanence disponible à l’aide de son téléphone portable pour répondre à d’éventuels appels et se tenir prêt à intervenir en cas de besoin », ce qui constituait une astreinte. Ensuite, la Cour a sans doute souhaité éviter les contournements de la loi par les entreprises qui souhaitent se dispenser de payer les primes d’astreinte. L’entreprise ne peut pas imposer aux salariés un dispositif contraignant pour leur vie privée, sans payer les compensations prévues par la loi.

La règle est d’autant plus claire pour les faits se déroulant à compter du 10 août 2016 : si l’entreprise oblige un salarié à se tenir prêt à intervenir en cas de besoin, ce salarié a droit à des primes d’astreinte, peu importe le lieu où il se trouve.

Source – Actuel CE