Les élus du personnel sont venus en nombre, mardi 3 mars dernier à Paris, pour assister à la matinée organisée par le cabinet d’expertise pour les CSE Sextant. Le sujet du jour : « Référent harcèlement sexuel et agissements sexistes, comment le CSE peut assurer son rôle ? ». La question méritait d’être posée car la présence du référent harcèlement sexuel et agissements sexistes dans l’entreprise est assez récente. Créés par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (article L. 2314-1 du code du travail), les textes sur le référent sont entrés en vigueur le 1er janvier 2019. Sauf qu’en 2019 prenait place le CSE qui a beaucoup mobilisé l’attention des élus. Aujourd’hui, le contexte sociétal remet le harcèlement sexuel sur le devant de la scène. La veille de la conférence, le Haut commissariat à l’égalité entre les femmes et les hommes a justement publié son 2e état des lieux du sexisme en France. Son introduction est lapidaire : « En dépit d’une forte mobilisation de la société civile (…), le constat reste accablant : une hausse de 46 % des plaintes pour harcèlement sexuel en 2019; des mis en cause pour crimes et délits à caractère sexiste qui sont majoritairement des hommes ». Avec ce rappel, les élus du personnel prennent la mesure des situations qui peuvent survenir et de leur rôle dans la lutte contre le harcèlement, qu’ils soient eux-mêmes référent sexuel dans l’entreprise ou non. Dès l’entame de leur conférence, les consultants de Sextant, Isabelle Nicolas et Stéphane Jego, ont rappelé quelques chiffres qui ont de suite marqué les élus présents :
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1 femme sur 5 est confrontée à une situation de harcèlement sexuel ;
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près de 30 % d’entre elles n’en parlent à personne ;
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82 % des employeurs n’ont pas mis en place d’action de prévention du harcèlement sexuel ;
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seulement 5 % des cas sont portés en justice ;
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35 % des femmes actives victimes travaillent dans des environnements de travail masculins ;
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30 % ont un certain niveau de responsabilité.
Voilà dressé l’état des lieux du harcèlement sexuel en situation de travail. Face à ce constat pour le moins alarmant, les élus et les référents ont besoin de connaître leur rôle et leurs moyens d’action. Ils peuvent tout d’abord s’appuyer sur l’obligation de santé et de sécurité qui pèse sur l’employeur.
L’article L. 1153-5 du code du travail est très clair sur cette obligation : l’employeur DOIT prendre toutes les dispositions en vue de prévenir, mettre un terme et sanctionner le harcèlement sexuel dans l’entreprise. Plus généralement, la lutte contre le harcèlement sexuel est rattachée à son obligation de santé et de sécurité, formulée à l’article L. 4121-1 du code du travail : l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé mentale et physique des salariés.
« Si l’employeur tente de minimiser les faits, voire de les mettre de côté ou de séparer la victime du harceleur présumé pour se débarrasser du problème, les élus du personnel ne doivent pas se priver de lui rappeler ses obligations », explique Isabelle Nicolas. Ainsi, l’employeur ne peut s’exonérer des actions suivantes :
- élaborer une procédure interne de signalement et de traitement des faits de harcèlement sexuel ;
- évaluer le risque de harcèlement sexuel et d’agissement sexiste ;
- mentionner dans le règlement intérieur les dispositions du code du travail ;
- informer les salariés et les sensibiliser à la thématique du harcèlement sexuel ;
- former les membres du CSE et le personnel encadrant ;
- désigner un référent harcèlement sexuel et agissements sexiste.
Sur ce dernier point, rappelons que deux référents peuvent coexister selon la taille de l’entreprise.
Un référent harcèlement sexuel doit être nommé côté CSE (par le CSE et parmi ses membres). Un référent côté RH est nommé cette fois par la direction. Le référent CSE doit être nommé à partir du moment où un CSE existe dans l’entreprise (donc à compter d’un effectif de 11 salariés). Le référent RH n’est quant à lui obligatoire qu’à compter de 250 salariés. Le référent CSE est désigné pour toute la durée du mandat des élus du CSE, tandis que le référent RH est nommé sans condition de durée. Dans certaines grandes entreprises, deux référents peuvent donc coexister, ce qui peut aussi poser problème.
« Que faire si une situation a été portée à la connaissance du référent RH et qu’il exclut le référent CSE du traitement et du signalement des faits », demande une élue parmi le public. Le conseil de Stéphane Jego : « Demandez une résolution du CSE, au moins que la question soit portée à l’ordre du jour. Et si la situation est très avancée et grave, vous pouvez aller jusqu’à demander une réunion extraordinaire du CSE ».
Seul le rôle du référent RH est clairement défini, mais selon les consultants de Sextant, les 2 référents ont des missions semblables. Pour le référent RH nommé par la direction, il s’agit d’orienter, informer et accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Pour le référent CSE, il s’agit de lutter contre ces phénomènes, sans plus de précision. Une chose est sûre : le référent CSE est l’interlocuteur privilégié des salariés. Il est aussi force de proposition d’actions de prévention et (tout comme le référent RH) peut réaliser des enquêtes s’il soupçonne que des faits de harcèlement ont lieu dans l’entreprise. Le slide de la présentation Sextant ci-desous explicite les différentes étapes à suivre en cas de faits portés à la connaissance des référents :
Naturellement, le référent RH dispose des moyens de la direction, ce qui peut lui donner un léger avantage. Cependant, le référent CSE bénéficie du statut de salarié protégé. Il a droit à une formation, il peut circuler librement dans l’entreprise et à l’extérieur (pour échanger par exemple avec l’inspection du travail) et peut utiliser son crédit d’heure de délégations en tant que membre du CSE (lire notre article à ce sujet).
Attention, l’employeur est aussi tenu de communiquer aux salariés l’adresse et les numéros de téléphone des référents. Il peut s’en acquitter par tous moyens sur les lieux de travail. Pour utiliser ses moyens à bon escient et remplir sa mission de prévention des faits, le référent doit aussi identifier les différentes notions : qu’est-ce qui distingue par exemple de simples faits de drague d’un harcèlement ?
En soumettant les participants à un petit quiz sur téléphone, les consultants de Sextant leur ont permis de faire le point sur leurs connaissances. Un salarié qui lance à la cantonade « Il n’y a personne de baisable ici », commet il un harcèlement ? Est-ce un agissement sexiste ? Face à l’incrédulité de l’assistance, ils ont rappelé quelques notions de base. L’agissement sexiste est défini par l’article L. 1142-2-1 du code du travail comme « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Remarques ou blagues sexistes, sexisme bienveillant (« C’est plus doux de travailler avec des femmes »), interpellations familières, considérations sur la maternité, fausse séduction ou incivilités en sont autant de manifestations.
Attention, le harcèlement connaît aujourd’hui une double définition. Il peut s’agir d’une pression grave, même non répétée, dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle (article L. 1153-1 du code du travail). Isabelle Nicolas précise que l’acte sexuel peut être recherché non seulement au profit l’auteur des pressions mais aussi pour le compte d’un tiers, comme un important client de l’entreprise. Mais le harcèlement sexuel peut aussi consister dans des propos à connotation sexuelle non désirés et répétés.
Enfin, l’agression sexuelle regroupe l’ensemble des atteintes sexuelles commises avec violence, contrainte, menace ou surprise. Ainsi, toucher les seins, les fesses, les cuisses ou embrasser sur la bouche dans ce contexte est qualifié d’agression sexuelle.
On le voit, la notion centrale autour de ces concepts est celle de consentement. Pour en prendre conscience, les consultants de Sextant ont diffusé une courte vidéo qui explicite les choses grâce à une astuce : remplacer l’acte sexuel par la proposition d’une une simple tasse de thé. La pirouette s’est avérée diablement efficace auprès des élus de l’assistance qui ont particulièrement apprécié cet intermède. « Le silence ne vaut pas consentement, même si ce dernier peut être non verbal. Le consentement doit être libre, éclairé et donné personnellement, et il n’empêche pas qu’on puisse changer d’avis ! », martèle Stéphane Jego.
Enfin, les consultants Sextant ont donné aux conférenciers la liste des personnes à solliciter :
- l’employeur ;
- le CSE, ses commissions ;
- les représentants de proximité ;
- le référent santé et sécurité au travail ;
- le médecin du travail ;
- l’inspecteur du travail ;
- l’ingénieur conseil de la Carsat (Caisse d’assurance retraite et de santé au travail).
Tous participent, directement ou indirectement, au traitement des faits de harcèlement sexuel ou d’agissement sexiste. Les élus et les référents doivent donc garder cette idée en tête, » nous sommes tous acteurs de la lutte contre le harcèlement », a conclu avec brio Isabelle Nicolas.
Avant la création du référent harcèlement, tout le monde se taisait
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Nathalie Duperrier, élue suppléante au CSE et référente harcèlement sexuel et agissements sexistes côté CSE au sein du cabinet d’audit KPMG, est venue à la conférence Sextant « dans le but de trouver de nouvelles idées ». Elle constate dans ses missions que la création d’un référent parmi le CSE permet de libérer la parole des salariés. « C’était quand même compliqué pour un salarié d’aller se plaindre de faits de harcèlement ou sexisme auprès de la direction des ressources humaines. Il faut mettre le salarié en confiance et lui poser les bonnes questions ». Elle constate que dès son élection comme membre du CSE en juin 2019, une salariée est venue la trouver pour l’informer de faits la concernant. « A la suite des sanctions qui ont été prises, les salariés voient que leur parole portent et que des mesures sont prises. Avant les référents, tout le monde se taisait. mais encore aujourd’hui, quad on fait remonter les faits, la direction semble parfois tomber des nues », observe Nathalie Duperrier. Il reste donc encore quelques progrès à faire. |
Source – Actuel CE