Au bout de plusieurs séances de négociation laborieuses, les partenaires sociaux sont parvenus le 26 novembre 2020 à élaborer un texte de compromis au sujet du télétravail. Ce projet d’accord, qui n’efface pas le précédent accord télétravail de 2005 auquel il fait référence, devrait être signé par la CFDT, la CFTC et FO, la CFE-CGC réservant sa réponse pour le 14 décembre. Mais représente-t-il une réelle avancée du point de vue des salariés ? Va-t-il changer les pratiques des employeurs ? Va-t-il influencer les négociations dans les entreprises ? Les représentants du personnel et les délégués syndicaux peuvent-ils s’en servir de point d’appui ? Nous avons posé ces questions à trois bons connaisseurs du monde de l’entreprise et des représentants du personnel, voici leurs réponses.
L’analyse de Muriel Renard, juriste et directrice de l’IREO (Lille), institut qui forme des représentants du personnel
Ce texte est une opportunité pour les CSE comme pour les délégués syndicaux, ils doivent s’en saisir pour demander à l’employeur des éléments sur les conditions du télétravail réalisé pendant la crise sanitaire, et pour demander des négociations sur le sujet
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En tant qu’organisme de formation des élus du personnel (1), nous avons bien vu que certains représentants du personnel ont du mal à se positionner au sujet du télétravail, faute de savoir ce qu’ils pouvaient ou pas aborder dans une négociation, je pense notamment à la question du remboursement des frais des salariés en télétravail. A cet égard, nous voyons à l’IREO cet accord national interprofessionnel (ANI) comme un opportunité, tant pour les élus de CSE que pour les délégués syndicaux, une opportunité dont ils doivent se saisir tout de suite pour interpeller leur direction en demandant des discussions (…) Ce texte s’apparente à un guide méthodologique qui a l’avantage de regrouper de multiples dispositions dispersées jusqu’alors, et d’offrir un certain cadrage. Ce texte donne un support et un appui pour la négociation. Le CSE peut aussi avoir une action pour inciter l’employeur à négocier sur le télétravail
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D’ailleurs, après la période de crise sanitaire que nous venons de traverser, nous incitons fortement les élus du personnel à se former sur la question du télétravail afin de pouvoir entamer un véritable dialogue social sur ce sujet ou en tout cas demander l’ouverture de négociations à leur employeur. Certes, l’employeur peut toujours se contenter d’une charte unilatérale, mais le CSE peut également inciter l’employeur à négocier avec les délégués syndicaux, par exemple en mettant à l’ordre du jour d’une réunion du CSE les conditions de travail, mais aussi en demandant à la direction d’évaluer les risques professionnels liés à cette période de télétravail forcé, sans oublier que les élus peuvent également procéder eux-mêmes à des enquêtes. Tout cela peut nourrir le terreau d’une future négociation. La partie de l’accord qui traite de la formation des managers me semble intéressante car nous entendons souvent dans nos formations des élus nous faire observer que leurs propres managers ne sont pas formés à cette question, les salariés étant, en quelque sorte, « lachés dans la nature ». Le télétravail pendant la crise sanitaire, c’était un saut dans le grand bain avec des maîtres nageurs ne maîtrisant pas grand chose
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On pourrait comparer le télétravail inauguré pendant la crise sanitaire au saut dans le grand bain pour des enfants qui ne savent pas nager, et avec des maitres nageurs qui ne maîtrisent pas grand chose non plus. Le moment est venu de se poser, de réfléchir à la situation et de prendre le taureau par les cornes pour organiser le télétravail et anticiper ses effets négatifs (…) C’est vrai qu’il n’y a rien de nouveau dans l’ANI sur le droit syndical, c’est un peu le grand absent du texte, mais rien n’empêche les élus et les syndicats de réfléchir à la façon de communiquer à distance avec un collectif de travail. (1) L’IREO indique avoir réussi à maintenir 92% de ses formations pour les élus CSE en 2020, soit déjà 250 élus formés depuis janvier. |
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L’analyse de David Verdier, avocat au sein du cabinet VMA & Associés (Paris et Louviers), qui assiste les élus des CSE C’est d’abord un accord de bonnes intentions. Je vois ce texte un peu comme une recette de cuisine que les représentants du personnel pourront consulter lors de la négociation d’un accord ou lors des réunions CSE. Les partenaires sociaux auraient pu aller plus loin !
![]() « Lorsque le diagnostic paritaire a été établi au début de cette négociation, plusieurs organisations syndicales se sont dit sceptiques sur l’intérêt d’aboutir à un accord non normatif. Depuis, certains syndicats ont fait évoluer leur position et ils signeront le texte. Mais il s’agit toujours d’un accord de bonnes intentions dépourvu de règles prescriptives, comme le souhaitait la délégation patronale, je pense, pour ne pas « se lier les mains » lors des négociations au niveau de l’entreprise. Le texte suggère quelques pistes d’évolution en matière de droit syndical, via par exemple un local syndical numérique, l’idée étant de favoriser la circulation de l’information entre les représenants du personnel et entre les représentants du personnel et les salariés. Des moyens systématiques auraient pu être donnés aux représentants du personnel : panneaux d’affichage virtuels, possibilté d’adresser des messages sur les mails professionnels des salariés
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Mais ce texte manque un peu d’ambition. Dans une période où l’on promeut sans cesse le dialogue social, pourquoi n’est-on pas allé plus loin ? Les partenaires sociaux auraient pu, par exemple, prévoir la mise en place systématique, dès lors que le télétravail concerne une partie importante des salariés, de moyens donnés aux représentants du personnel pour qu’ils disposent de panneaux d’affichage virtuel pour informer les salariés de ce que fait le CSE ou de l’état des négociations, etc. On aurait pu prévoir la mise en oeuvre d’outils facilitant la communication des élus du personnel et délégués syndicaux vers les adresses mails professionnelles des salariés, ou des adresses spécialement créées à cet effet pour l’entreprise, or cela reste impossible sans accord collectif. L’accord est une compilation qui peut servir de guide ou de document de travail
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Cet accord peut-il néanmoins servir aux représentants du personnel et aux délégués syndicaux ? Oui, dans la mesure où cette compilation des problèmatiques que pose le télétravail et des dispositions légales sur le sujet peut constituer un guide ou un document de travail pour élaborer un accord collectif dans l’entreprise. Les représentants du personnel pourront se référer à cet ANI pour y trouver des idées ou des solutions. Cela étant, les dispositions légales sont peu nombreuses, et elles sont clairement explosées par l’article L.1222-9 du code du travail, qui définit le télétravail et les conditions de sa mise en place, et les représentants du personnel qui négocient vont déjà chercher ces infos. Le texte adopte une formulation un peu plus pratique que ce que l’on trouve dans le code du travail
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Cet accord reprend ces dispositions en le faisant de façon, c’est vrai, un peu plus pratique et avec un vocabulaire différent : par exemple, là où la loi mentionne des conditions de retour dans l’entreprise des télétravailleurs, l’accord évoque le droit à la reversibilité du télétravail; l’accord stipule une allocation forfaitaire pour le télétravailleur alors que la loi ne mentionne que les conditions de mise en oeuvre de l’accord collectif ou de la charte (…) Ce que je peux constater dans les entreprises en matière de dialogue social à distance ? Le télétravail peut être une source de difficultés supplémentaires pour le travail des membres du CSE
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Les choses sont très variées. Quand le dialogue social existe, la circulation de l’information est préservée voire facilitée pour les élus du personnel, parfois en maintenant des réunions physiques pour faciliter le dialogue à cpoté des réunions en visioconférence. Mais le télétravail est aussi une source de difficultés supplémentaires pour les élus évoluant dans de entreprises où le dialogue social était déjà compliqué, car la visioconférence ne sert Parfois qu’à maintenir des réunions formelles mais sans véritables échanges constructifs, et parfois l’absence de moyens aboutit à limiter le dialogue social étant donné les difficultés des élus à joindre les salariés ou ne serait-ce qu’à échanger entre représentants du personnel ». |