Voilà la toute première jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui porte sur cette prérogative que possède le comité social et économique, dans les entreprises de 300 salariés et plus, de désigner un expert technique de son choix en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle (article L. 2315-95 du code du travail).
Tout commence par une délibération du 9 mai 2019 par laquelle le CSE de la société Médiapost, filiale du groupe La Poste spécialisée dans la communication de proximité, décide « de recourir à une expertise relative à la qualité de vie au travail incluant l’égalité professionnelle ».
La réaction de la direction de Médiapost ne se fait pas attendre. Le 21 mai, il est demandé au président du tribunal de grande instance d’annuler la délibération du CSE.
A l’initiative de Médiapost, l’affaire arrive en cassation.
Même si le CSE ne négocie pas l’égalité professionnelle, il peut désigner un expert quand bien même la négociation a débuté
Dans son pourvoi en cassation, l’employeur tente de faire admettre par les juges que l’expertise « Egalité professionnelle » n’est possible « que dans l’hypothèse où le comité est amené à participer à cette négociation ». Or, ici, « le comité social et économique ne participait pas à la négociation de l’accord sur l’égalité professionnelle qui était menée avec les délégués syndicaux, de sorte qu’il ne pouvait prétendre désigner un expert pour préparer cette négociation ».
L’employeur fait par ailleurs valoir qu’à partir du moment où la négociation avec les organisations syndicales avait déjà été engagée depuis décembre 2018, la désignation d’un expert en mai 2019 n’était de toute façon plus possible.
Remarque : cette chronologie s’explique par le fait que les négociations, effectivement engagées en décembre 2018, avaient été suspendues le temps de la mise en place du CSE en janvier 2019 et avaient repris au mois de mars.
Aucun de ces deux arguments n’emporte la conviction des magistrats de la Cour de cassation.
D’abord, il est précisé que le comité social et économique peut faire appel à un expert afin qu’il apporte aux organisations syndicales, en charge des négociations obligatoires prévues par le code du travail (articles L. 2242-1, 2° et L. 2242-17), toute analyse utile dans le cadre de la préparation de la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Et ce, indépendamment des possibilités de négociation collective avec les élus du CSE ou avec un salarié mandaté prévues par le code du travail (articles L. 2232-24, L. 2232, 25 et L. 2232-26).
Ensuite, s’agissant de la désignation prétendument tardive de l’expert par le CSE de Médiapost, il est décidé que « la désignation de l’expert doit être faite en un temps utile à la négociation » et que « cette expertise peut être ordonnée quand bien même la négociation a commencé à être engagée ».
L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est un sujet complexe. Une fois que la négociation a commencé, les délégués syndicaux peuvent se rendre compte qu’une aide externe serait la bienvenue pour les aider à décrypter les indicateurs de la base de données économiques et sociales, à avancer des propositions concrètes et à préparer les réunions avec l’employeur. D’où l’intérêt de cette possibilité de désigner un expert, alors que la négociation a été engagée.
Comme avait pu le constater le président du tribunal de grande instance, la décision du CSE de voter une expertise en mai 2019, alors que les négociations étaient engagées depuis décembre 2018, s’expliquait par le fait que les négociations avaient été suspendues pendant la mise en place du CSE en janvier et février 2019 et par l’insuffisance des informations fournies par l’employeur. D’ailleurs, celui-ci avait transmis aux élus des compléments d’information en mai 2019, la négociation ne s’étant finalement achevée qu’en août 2019. En conséquence, l’expertise n’était pas tardive.
A la question de savoir à partir de quel moment la désignation sera considérée comme tardive, il est impossible d’apporter une réponse unique car tout dépend des circonstances de fait. Aussi, la prudence recommande aux élus du CSE et aux délégués syndicaux de se coordonner en amont de la négociation et de se mettre d’accord sur la nécessité ou non de désigner un expert.
L’expertise « Négociation de l’égalité professionnelle » ne peut pas être étendue à d’autres thèmes de négociation
L’employeur, qui n’était pas d’accord avec la décision du CSE d’étendre l’expertise à la qualité de vie au travail, demandait à ce que l’étendue de l’expertise soit limitée au cadre des négociations sur l’égalité professionnelle.
Demande rejetée par le président du tribunal de grande instance au prétendu motif que les élus n’avaient pas disposé des éléments pertinents pour pouvoir se prononcer utilement sur le projet de qualité de vie au travail et d’égalité professionnelle.
En cassation, il est au contraire décidé que cette possibilité donnée au CSE de recourir à un expert en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle est « spécifiquement destinée à favoriser la négociation sur l’égalité professionnelle » et « ne peut être étendue à d’autres champs de négociation ». En conséquence, le CSE de Médiapost ne pouvait pas demander à l’expert de travailler sur la qualité de vie au travail.
Ce n’est que si la BDES est totalement muette sur l’égalité professionnelle que l’employeur doit payer 100 % de l’expertise
Normalement, l’expertise « Négociation de l’égalité professionnelle » est cofinancée par le CSE (20 %) et l’employeur (80 %). Toutefois, l’employeur doit intégralement la prendre en charge en l’absence de tout indicateur relatif à l’égalité professionnelle dans la base de données économiques et sociales (BDES) (article L. 2315-80).
Dans cette affaire, l’employeur avait été condamné à payer 100 % de la facture de l’expert. A tort selon la Cour de cassation car il aurait fallu vérifier si la base de données économiques et sociales mise à la disposition du comité social et économique comportait ou non certains indicateurs chiffrés relatifs à l’égalité professionnelle.
Source : Actuel-CE