Un exercice efficace du mandat de délégué du personnel exige de développer de solides connaissances des règles du droit du travail. Pour vous y aider, nous sélectionnons chaque mois la jurisprudence relative à vos domaines de compétence. Voici ce qu’il faut retenir des arrêts rendus fin septembre et en octobre.

Chaque mois, nous vous présentons de manière synthétique les arrêts susceptibles d’être utiles à votre mandat de délégué du personnel. Pour plus de facilité de lecture nous les avons classés par thèmes : rémunération, rupture du contrat, statut conventionnel.

Rappelons en préalable que face au CE et aux délégués syndicaux, les délégués du personnel ont un rôle spécifique. D’après l’article L. 2313-1 du code du travail, ils ont pour mission :

1°) de présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l’application du code du travail et des autres dispositions légales concernant la protection sociale, la santé et la sécurité, ainsi que des conventions et accords applicables dans l’entreprise ;

2°) de saisir l’inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des prescriptions législatives et réglementaires dont elle est chargée d’assurer le contrôle.

Quel sort pour les missions des DP au sein du CSE?
Les ordonnances travail préservent au bénéfice du futur comité social et économique (CSE), dès le seuil de 11 salariés, l’essentiel des prérogatives attribuées aujourd’hui aux délégués du personnel. Chercher à apprécier, en tant qu’élu du personnel, une situation de travail au regard des règles de droit reste donc un impératif.
Rémunération : preuve des heures sup’ et du paiement du salaire
Le rôle du DP, c’est notamment de relayer auprès de l’employeur les réclamations individuelles et collectives relatives au salaire. S’intéresser à la jurisprudence en la matière peut vous aider à appuyer les demandes qui vous apparaissent légitimes.

 

► Un plombier est licencié pour motif économique en mai 2012. L’entreprise qui l’emploie est placée en liquidation judiciaire. Le salarié réclame aux prud’hommes 6 000 euros au titre de ses salaires impayés de mars, avril et mai 2012. La demande est d’abord écartée au motif que « l’attestation Pôle emploi établie par le mandataire liquidateur fait foi jusqu’à preuve contraire et démontre le paiement ». À tort selon la Cour de cassation, qui considère qu’il y eu ici un inversement de la charge de la preuve : « Il incombe à l’employeur, nonobstant la délivrance de l’attestation Pôle emploi, de démontrer le paiement du salaire, de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité de préavis, outre les éventuels congés payés » (lire l’arrêt).

 ► La loi exige du salarié qui sollicite le paiement d’heures supplémentaires qu’il produise des éléments permettant d’étayer ses allégations, et que l’employeur puisse discuter. Dans cette affaire, un salarié réclame le paiement d’heures supplémentaires pour la période de février à juillet 2010. À l’appui de ses demandes, il produit uniquement des plannings expressément qualifiés de provisoires, et non des relevés des heures effectuées signés de son employeur ou de son représentant. Les juges considèrent que ces éléments fournis par le salarié « ne suffisent pas à étayer la demande » (lire l’arrêt).

Rupture du contrat : démission rédigée par l’employeur, travail sabordé, abandon de poste
Pourquoi, en tant que DP, s’intéresser au contentieux du licenciement disciplinaire ? Tout simplement parce qu’un salarié convoqué par l’employeur à un entretien préalable de licenciement ou qui fait l’objet d’une procédure disciplinaire a le droit de se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise (articles L. 1232-4 et L. 1332-2 du code du travail). Or il est fréquent que le salarié menacé demande à un délégué du personnel de l’assister et des conseils.

 

► Un salarié d’une exploitation agricole quitte l’entreprise après avoir signé un document ainsi rédigé par l’employeur : « Je, soussigné, Mr. (nom du salarié) avoir démissionné de l’entreprise le 25/05/2013. Lue et approuvée ». Trois jours plus tard, le salarié revient sur sa démission et soutient en justice qu’il a signé le document « en raison de la pression considérable qui a été exercée sur lui ». Pour requalifier cette démission en licenciement fautif à l’initiative de l’employeur, les juges relèvent d’abord que l’acte de démission n’a pas été écrit de la main du salarié, alors même que ce dernier en est parfaitement capable puisqu’il a sollicité quelques semaines plus tôt par courrier, en s’aidant d’un modèle, la rupture conventionnelle de son contrat de travail. La lettre de démission a également été signée sur-le-champ dans les locaux de l’entreprise, sans que le salarié ait pu la soumettre à la lecture d’un tiers et de prendre conseil (lire l’arrêt).

► Le responsable de la recherche et du développement inclut dans des fichiers des erreurs volontaires visant à les rendre inutilisables, bouscule à deux reprises son employeur, refuse de lui restituer l’ordinateur mis à sa disposition et refuse de communiquer le jeu complet de plans d’une machine. Aux yeux des juges, un tel comportement rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie un licenciement pour faute grave (lire l’arrêt).

► Un directeur commercial d’une société de formation reçoit de la part de sa responsable un courriel pour l’informer que la diffusion électronique des cours destinés aux clients est « strictement interdite », cette dernière concluant « c’est absolument inadmissible merci de ne jamais refaire cela ». Peu de temps après, le directeur commercial est licencié pour faute grave, notamment au motif de cette diffusion des cours. Le salarié soutient alors que cette faute ne peut être retenue contre lui dans la mesure où il a déjà fait l’objet d’un avertissement par mail. Mais pour les juges, le courriel reçu par le directeur commercial n’était qu’un simple « rappel à l’ordre », de sorte que l’employeur n’avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire pour cette faute (lire l’arrêt).

► La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail. Tel n’est pas forcément le cas pour un abandon de poste. L’absence injustifiée de six semaines d’un salarié – qui rencontrait « de nombreuses difficultés personnelles et de santé » dont l’employeur était informé – ne justifie pas un licenciement pour faute grave si cette absence n’a pas perturbé le service. La Cour tient également compte du fait que le salarié avait plus de vingt ans d’ancienneté dans l’entreprise. Le licenciement du salarié est simplement basé sur une cause réelle et sérieuse (lire l’arrêt).
Statut conventionnel : dérogation au congé de fractionnement
La loi donne vocation aux DP de présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives « aux conventions et accords applicables dans l’entreprise » (article L. 2313-1 du code du travail). Il est donc important de savoir décrypter la conformité des règles collectives imposées aux salariés.

► Tout salarié peut bénéficier de jours de congés payés supplémentaires « de fractionnement » s’il prend au moins douze jours ouvrables continus de congé entre le 1er mai et le 31 octobre, et qu’il prend au moins trois jours de congé (à l’exception de la cinquième semaine) en dehors de cette période (article L. 3141-23 du code du travail). La Cour de cassation rappelle les règles sur ce droit aux congés pour fractionnement : le droit à ces jours de congés supplémentaires naît du seul fait du fractionnement, que ce dernier ait été à l’initiative du salarié ou de l’employeur. Ce droit ne peut être écarté que par accord collectif (ou accord individuel du salarié). Dans l’arrêt en question, la convention collective prévoyait des jours de congés supplémentaires lorsque l’employeur « exige » qu’une partie des congés (hors cinquième semaine) soit prise en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre. Pour la Cour de cassation, les règles conventionnelles en question ne constituent pas une dérogation à la loi. En effet, elles ne dérogent pas « expressément à l’article L.3141-19 du code du travail » (en vigueur à l’époque des faits). Dès lors, même si la date des congés n’a pas été choisie exclusivement à la demande de l’employeur, le salarié a droit à des jours de congés supplémentaires du seul fait du fractionnement (lire l’arrêt).

Source – Actuel CE