Des implantations géographiques distinctes, des chefs de sites participant à l’élaboration des budgets, menant entretiens de carrières et entretiens préalables et pouvant infliger un avertissement : pour le juge, ces critères attestent qu’il s’agit bien d’un établissement distinct.
La crainte d’une centralisation croissante des instances représentatives du personnel a été renforcée par les ordonnances Travail qui ont créé en 2017 le comité social et économique (CSE) en regroupant CE, CHSCT et délégués du personnel. Autant dire que la question du découpage, au sein d’une entreprise, de différents établissements est une question clé. Elle détermine en effet l’existence de plusieurs CSE d’établissement, d’autant que la notion d’établissement ne correspond pas nécessairement à un établissement physique et qu’un établissement peut en englober plusieurs autres au sens de l’Inee (SIRET).
En outre, il faut savoir que la procédure de découpage des établissements a été modifiée par les ordonnances. En l’absence d’accord collectif définissant le nombre et le périmètre des établissements distincts, l’employeur devait saisir la Direccte, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte). Désormais, faute d’accord, le découpage est décidé directement par l’employeur compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel (article L. 2313-4). La Direccte peut ensuite être saisie par les organisations syndicales et le CSE en cas de désaccord. Mais attention, l’employeur, précise la jurisprudence, ne peut faire usage de son pouvoir de décision unilatéral qu’à l’issue d’une tentative loyale de négociation ayant échoué (Cass. soc., 17 avr. 2019, n° 18-22.948). D’autre part, le ministère du Travail estime que cette décision unilatérale ne vaut que pour le cycle électoral en cours, l’employeur devant engager une nouvelle négociation à l’issue de chaque cycle (Comité social et économique.- 117 questions-réponses, question n° 27). Une nouvelle jurisprudence apporte quelques précisions sur les critères sur lesquels peut se fonder le juge pour apprécier la pertinence ou non du découpage décidé par l’employeur.
Un seul et unique CSE
Après échec des négociations destinées à définir le nombre et le périmètre des établissements distincts, la direction de la « Société d’avitaillement et de stockage de carburants aviation » décide de la mise en place d’un seul et unique CSE couvrant tout le périmètre de l’entreprise. Saisie d’un recours contre cette décision, le Direccte désavoue l’entreprise et reconnaît l’existence de 6 établissements distincts, à savoir Mulhouse, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse et Orly, correspondants aux « six stations avions » de l’entreprise. Direction le tribunal d’instance, auquel l’employeur demande d’annuler le découpage retenu par le Direccte. La demande étant rejetée, l’employeur se pourvoit en cassation.Par un arrêt du 22 janvier 2020, la Cour de cassation valide définitivement le découpage de l’entreprise en 6 établissements distincts.
Les critères retenus par la Cour de cassation
Les juges y rappellent :
- d’une part, qu’un établissement distinct est celui qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service (voir déjà Cass. soc., 19 déc. 2018, n° 18-23.655) ;
- d’autre part, que la centralisation de fonctions support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement (voir déjà Cass. soc., 11 déc. 2019, n° 19-17.298).
Il y est par ailleurs précisé « qu’en cas de recours dirigé contre la décision unilatérale de l’employeur, le Direccte et le tribunal d’instance se fondent, pour apprécier l’existence d’établissements distincts au regard du critère d’autonomie de gestion, sur les documents relatifs à l’organisation interne de l’entreprise que fournit l’employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l’appui de leur contestation de la décision unilatérale prise par ce dernier ».Comme l’avaient constaté les juges, les « six stations avions » disposaient « d’une implantation géographique distincte ».
Chaque chef de station manage le personnel
S’agissant de l’autonomie budgétaire, il a été retenu que chacune des stations disposait « d’un budget spécifique décidé par le siège sur proposition du chef de station », chef de station dont la fiche de poste prévoyait sa participation à « l’élaboration des budgets de fonctionnement et d’investissement de la station avec le siège ».
Enfin, s’agissant de l’autonomie en matière de gestion du personnel, il était établi que le chef de station disposait bien d’une compétence de « management du personnel social ». Pour preuve, il était garant du respect du règlement intérieur, menait les entretiens individuels de carrière et des entretiens préalables à une éventuelle sanction et pouvait prononcer des avertissements. De surcroît, c’est lui qui « présidait jusqu’à présent le CHSCT et animait les réunions des délégués du personnel ».
Conclusion : « même si certaines compétences en matière budgétaire et de gestion du personnel étaient centralisées au niveau du siège, les six stations avions constituaient chacune un établissement distinct au sens de la mise en place d’un CSE ».
Source – Actuel CE