Les récents textes ont introduit trois nouveaux dispositifs permettant aux directions d’entreprise de gérer les réorganisations : la rupture conventionnelle collective (RCC) et l’accord de performance collective (APC) sont nés des Ordonnances Macron (septembre 2017) et l’activité partielle de longue durée (APLD) a été instituée dans le cadre des mesures d’urgence liées à la crise sanitaire (juin 2020).
Ces dispositifs viennent donc compléter le Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), procédure existante de longue date mais dont les modalités légales de mises en œuvre sont souvent jugées par les directions comme trop rigides (délai, procédure, format de négociation) et insuffisamment sécurisantes (homologation Direccte et risques prud’homaux).
Ces trois nouveaux dispositifs se distinguent du PSE notamment sur deux principes fondamentaux : les mesures sociales accompagnant les ruptures de contrat sont quasi-inexistantes dans le cadre de la RCC, l’APC ou l’APLD et le rôle des Directtes est réduit à une simple vérification du respect de quelques mentions légales formelles, plus d’ordre administratives que de contenu d’accord.
Ces trois dispositifs ont donc un point commun : la faiblesse, voire l’absence, de mesures sociales pour les salariés impactés par ces accords collectifs ou qui refuseraient leur application.
Concernant la RCC, les mesures sociales « obligatoires » sont extrêmement modestes et très peu contraignantes : « Les actions de formation, de VAE ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou la reprise d’activités existantes ». Cette faiblesse des mesures sociales a été partiellement amendée dans un second temps par la possibilité d’activer les congés de mobilité. Mais il ne s’agit que d’une possibilité et l’employeur n’est pas obligé de proposer ce dispositif.
Cette faiblesse des mesures sociales est en outre pour partie reconnue puisqu’il a été confié à l’administration le soin de s’assurer que « les mesures de reclassement externe d’accompagnement (…) sont précises et concrètes et si elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à l’objectif d’accompagnement et de reclassement externe des salariés ». Ces objectifs sont bien trop généraux et non coercitifs pour envisager qu’ils puissent peser sur les directions d’entreprise.
D’ailleurs, l’objectif initial des RCC, inavoué mais clairement lisible, consistait à envisager le versement d’indemnités plus importantes que les indemnités légales contre des mesures sociales minimalistes et, également, une sécurité juridique des ruptures de contrat (fin des recours prud’homaux avec le volontariat et l’accord collectif majoritaire).
Ainsi, dans le cadre de la RCC, sous le prétexte de la condition du volontariat, les salariés partants ne bénéficient pratiquement d’aucune aide ou mesure spécifique pour retrouver un emploi.
Or, l’employeur reste malgré tout intéressé aux départs de ces salariés pour envisager des économies sur la masse salariale et gérer au plus vite les mouvements d’effectifs. Il aurait donc pu contribuer plus amplement au reclassement externe des salariés, à l’image des mesures qui s’appliquent dans le cadre d’un plan de départ volontaire.
De plus, les partants ne sont pas toujours réellement des « volontaires » mais parfois des salariés considérés comme trop âgés, insuffisamment productifs, ne disposant pas des compétences nécessaires pour répondre aux évolutions stratégiques et technologiques, ceux dont l’avenir professionnel est bouché depuis plusieurs années, ceux dont la santé au travail s’est dégradée fortement et qui ne supportent plus la charge de travail… Pour l’ensemble de ces « volontaires, l’absence de mesures sociales pour aider à la reconversion professionnelle fait cruellement défaut.
Dans le cadre de l’APC, la situation est encore plus délicate puisque les salariés qui refuseraient l’application de l’accord collectif se trouvent licenciés « pour cause réelle et sérieuse ». A nouveau et malheureusement à l’identique de la RCC, les mesures sociales prévues dans le cadre des APC sont quasi-inexistantes. Le 4° de l’article L.2254-2 du Code du travail mentionne que l’accord doit comprendre « les modalités d’accompagnement des salariés ainsi que l’abondement du compte personnel de formation ». Ainsi, à défaut de cette mention, le Compte Personnel de Formation (CPF) est abondé de 3 000 € et aucune autre mesure sociale spécifique n’est légalement prévue. Toute autre mesure pouvant notamment permettre le retour à l’emploi reste donc à « négocier » dans l’accord.
Ainsi, dans le cadre de l’APC comme de la RCC, il y a clairement un transfert vers la société des obligations de reclassement.
A leur création, ces deux dispositifs de réorganisation visaient à favoriser la flexibilité des départs ou à faciliter les réorganisations, en externalisant les impacts sociaux. Ils ont été conçus à une période où le président Macron estimait un retour prochain au « plein emploi » avec un taux de chômage projeté à 7% à la fin de son mandat. Ils n’ont donc pas été conçus pour « protéger » les salariés dans un contexte de crise économique et sociale. Et les ambitions législatives de sécurisation des salariés sont restées lettres mortes.
Concernant l’APLD, le dispositif est muet sur le traitement social des salariés qui refuseraient l’application de l’accord collectif. Nous pouvons faire l’interprétation que les conditions de refus de ce dispositif collectif sont identiques à celles qui prévalent pour la mise en place de l’activité partielle « traditionnelle », à savoir qu’un refus est assimilé à une démission. Il aurait tout de même mieux valu préciser dans les textes les conséquences juridiques en cas de refus individuels, comme dans le cadre des APC.
Quoi qu’il en soit, ce nouveau dispositif de l’APLD ne laisse finalement pas le choix pour le salarié. Or, ce dernier peut subir une perte de rémunération nette pouvant aller jusqu’à 7%. Cette incidence salariale est suffisamment conséquente pour envisager qu’elle puisse se traduire par une impasse économique pour les salariés concernés. Compte tenu de cet impact financier qui pourrait s’appliquer sur une période de deux ans, les salariés auraient dû bénéficier d’une option d’acceptation ou de refus sans subir une « double peine » : perte d’emploi et absence de mesures sociales d’aide au retour à l’emploi.
La principale difficulté actuelle réside donc dans la latitude ou la bonne volonté laissée aux employeurs pour activer des mesures sociales adaptées à un contexte de crise. Il n’y a clairement pas suffisamment d’obligations en la matière et il est aujourd’hui constaté que de nombreuses entreprises, y compris les grands groupes internationaux, rechignent à améliorer les mesures sociales.
Or, cette crise n’est pas uniquement une crise économique mais également une crise sociale. Il n’est pas concevable que l’Etat soit le seul et unique acteur pour assurer la « protection » des salariés. Les entreprises doivent pleinement prendre leur part dans l’amortissement de ces situations sociales dont elles sont parfois elles-mêmes à l’origine.
Il convient donc d’appeler à une évolution législative d’envergure à très court terme qui imposerait aux entreprises la mise en place de mesures sociales jouant pleinement leur rôle de filet de sécurité.