La Cour de cassation refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par un employeur mettant en cause, au motif qu’elle serait insuffisante, la sanction prévue en cas d’atteinte aux règles d’ordre public relatives à la parité des listes de candidats aux élections professionnelles. L’occasion de revenir sur cette règle.

Les règles de représentation équilibrée des listes de candidats aux élections professionnelles, autrement appelées règles de parité de listes, font l’objet d’une abondante jurisprudence. Mécanisme mis en place par la loi Rebsamen du 17 août 2015, son objectif est de favoriser une représentation hommes femmes conforme à la composition des collèges électoraux. Le dispositif repose sur l’annulation de l’élection des candidats du sexe surreprésenté issus de listes ne respectant pas les règles. C’est la nature de cette sanction applicable en cas de non-respect de ces règles d’ordre public qui est en cause dans cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dont est saisie la Cour de cassation.

Sanction en cas de non-respect des règles de parité des listes de candidats

Dans le cadre des élections du CSE, un syndicat présente une liste avec une candidature unique pour un collège dans lequel 3 sièges sont à pourvoir. L’employeur conteste cette liste avant les élections afin que le tribunal constate son irrégularité au titre des règles de parité, mais la décision est rendue après les élections. La demande d’annulation de la liste est donc jugée sans objet.

► Remarque : en effet, si le contentieux de la parité des listes de candidats est post-électoral, la jurisprudence a autorisé la contestation dans le cadre du contentieux préélectoral (Cass. soc., 11 déc. 2019, n° 18-26.568). Mais dans ce cas, le juge ne peut pas annuler une liste après les élections (Cass. soc., 27 mai 2020, n° 19-14.225).

Le quorum n’ayant pas été atteint au premier tour, un second tour est organisé. La candidate, seule à se présenter, est finalement élue comme candidate libre. A la suite de ce second tour, l’employeur saisit le tribunal judiciaire d’une nouvelle demande tendant notamment à l’annulation des élections dans leur ensemble, et à ce que le syndicat soit jugé non représentatif en raison du non-respect des règles de parité au premier tour.

► Remarque : en effet, seuls les syndicats doivent respecter les règles de parité de listes de candidats (notamment, Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 19-60.222), et ne peuvent présenter une liste avec un seul candidat quand plusieurs mandats sont à pourvoir dans un collège (Cass. soc. QPC, 9 mai 2018, n° 17-14.088), sauf l’exception du sexe ultra-minoritaire (notamment, Cass. soc., 11 déc. 2019, n° 18- 26.568). Mais la représentativité reste acquise au syndicat s’il a obtenu 10 % des suffrages au premier tour des élections, et ce même s’il n’a pas respecté les règles de parité des listes (notamment, Cass. soc., 1 er juill. 2020, n° 19-14.222), et/ou que le quorum n’est pas atteint. C’est pourquoi dans cette affaire, le syndicat est bien représentatif alors même qu’il n’a pas d’élu, et que l’élection de la candidate n’a pu être annulée car elle s’est présentée en candidat libre lors du second tour. 

 

La QPC concerne la sanction applicable en cas de non respect des règles de parité

Dans son pourvoi formé contre le jugement du tribunal judiciaire suite aux élections, l’employeur demande de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)  concernant l’alinéa 3 de l’article L. 2314-32 du code du travail relatif à la sanction applicable en cas de non-respect des règles de parité des listes.

Il demande si la sanction prévue par le texte, consistant en « la simple annulation de l’élection d’un nombre d’élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d’hommes que celle-ci devait respecter », et ne prévoyant pas « l’annulation des élections même lorsque l’irrégularité dans le déroulement des élections née de la présentation par une organisation syndicale d’une liste de candidat ne répondant pas aux exigences d’ordre public de l’article L. 2314-30 a été déterminante de la qualité représentative des organisations syndicales dans l’entreprise », porte atteinte au droit des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et au principe d’égalité tels que garantis par les alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les articles 1er, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ?

En d’autres termes, l’employeur considère que le non-respect de ces règles d’ordre public devrait être sanctionné par l’annulation des élections, et remette ainsi en cause la qualité représentative acquise au premier tour des élections sur la base de cette liste irrégulière.

Conciliation équilibrée entre les principes d’égalité et de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail

La Cour de cassation juge que la question ne présente pas un caractère sérieux et ne renvoie donc pas la QPC au Conseil constitutionnel.

Elle commence par expliquer que le législateur n’a pas porté atteinte au principe d’égalité devant la loi, la sanction étant appliquée de la même manière à tous les syndicats placés dans la même situation. Puis la chambre sociale explique que le législateur « a opéré une conciliation équilibrée entre les exigences de l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et celles des alinéas 6 et 8 de ce Préambule en choisissant, en cas d’irrégularité de la liste de candidats aux élections des membres de la délégation du personnel au comité social et économique, lorsque le tribunal statue après l’élection, la seule sanction de l’annulation de l’élection d’un nombre d’élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d’hommes que celle-ci devait respecter, sans remettre en cause la qualité représentative des organisations syndicales leur permettant d’accéder à la négociation collective, notamment des conditions de travail des salariés de l’entreprise ».

► Remarque :  la Cour de cassation avait déjà refusé l’annulation des élections par le juge en cas de constatation par ce dernier, après l’élection, du non-respect des règles de parité, au motif que l’article L. 2314-32 ne prévoit pas cette sanction, c’est donc la seule annulation des derniers élus du sexe surreprésenté qui s’applique. Il s’agissait d’un collège avec un unique candidat dont l’élection avait été annulée (Cass. soc., 27 mai 2020, n° 19-14.225). 

Et c’est en effet sur cet équilibre, cette conciliation, entre principes constitutionnels, que la Cour de cassation comme le Conseil constitutionnel ont construit et explicité ces règles de représentation équilibrée des listes de candidats.

Rappelons qu’en 2015, la loi Rebsamen avait prévu que l’employeur n’a pas à organiser d’élections partielles, même si les conditions en sont réunies, suite à une ou des annulations de l’élection de certains candidats sur le fondement des règles relatives à la parité des listes de candidats. Cette règle avait disparu de l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au CSE, mais avait été reprise dans la loi de ratification.

Le Conseil constitutionnel a été saisi sur ce point et il a tranché : cette disposition porte une atteinte disproportionnée au principe de participation des travailleurs, elle est donc censurée. L’un des arguments du Conseil constitutionnel était justement que l’annulation des élections professionnelles dans leur ensemble, obligeant l’employeur à reprendre tout leur lourd processus était à éviter (Cons. const., déc., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC).

En juillet 2018, le Conseil constitutionnel a bouclé la boucle en censurant ces mêmes dispositions concernant les anciennes instances (lesquelles restaient applicables pour les élections partielles de CE et de délégués du personnel, toujours possibles en cette période transitoire, de nombreux CE et délégués du personnel étant encore en cours de mandat et ce jusqu’au 31 décembre 2019, date limite de mise en place du CSE) (Cons. const., déc., 13 juill. 2018, n° 2018-720 DC). C’est à cette dernière décision que la Cour de cassation fait ici référence.

Attention à ne pas fragiliser les IRP

En effet, la chambre sociale explique qu’il résulte des motifs de cette décision de 2018 « que les dispositions contestées pouvaient aboutir à ce que plusieurs sièges demeurent vacants dans ces institutions représentatives du personnel, pour une période pouvant durer plusieurs années, y compris dans les cas où un collège électoral n’y est plus représenté et où le nombre des élus titulaires a été réduit de moitié ou plus et que ces dispositions pouvaient ainsi conduire à ce que le fonctionnement normal de ces institutions soit affecté dans des conditions remettant en cause le principe de participation des travailleurs. Le Conseil constitutionnel en a tiré la conséquence que, même si les dispositions contestées visaient à garantir, parmi les membres élus, une représentation équilibrée des femmes et des hommes, l’atteinte portée par le législateur au principe de participation des travailleurs était manifestement disproportionnée ».

En d’autres termes, les sanctions à cette règle d’ordre public ne doivent pas amener à une trop grande fragilisation de la représentation du personnel dans l’entreprise : si les conditions en sont réunies, les élections partielles doivent être organisées, de même que le syndicat qui n’a pas respecté les règles est certes privé d’un ou plusieurs élus, mais il reste représentatif s’il a atteint le sésame des 10 % au premier tour des élections, afin de maintenir une représentation dans l’entreprise et une possibilité de négociation avec les partenaires sociaux. 

► Remarque :  en miroir, toujours sur la même ligne, dans le cadre d’un contentieux des élections, des syndicats ont saisi la Cour de cassation sur le fondement de plusieurs textes internationaux et communautaires, arguant que ces règles de parité des listes de candidats étaient attentatoires à la liberté syndicale et au libre choix par les syndicats de leurs représentants. Mais la Cour de cassation a considéré que le législateur ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté syndicale, opérant une conciliation équilibrée avec le principe tout aussi fondamental de non-discrimination entre les hommes et les femmes (Cass. soc., 13 févr. 2019, n° 18-17.042)

 

Séverine Baudouin