Pour le Conseil d’État, des faits de harcèlement moral ou de discrimination ne font pas obstacle, par eux-mêmes, à la rupture conventionnelle conclue avec un salarié protégé. L’inspecteur du travail ne doit refuser d’autoriser la rupture que si ces faits ont vicié le consentement du salarié.

La rupture conventionnelle conclue avec un salarié protégé n’est pas homologuée par le Dreets, mais autorisée par l’inspecteur du travail en raison de la protection exorbitante du droit commun dont bénéficie l’intéressé (C. trav., art. L 1237-15). C’est donc le juge administratif, et non le juge judiciaire, qui est compétent pour statuer, en cas de litige, sur la validité de la rupture, même si le salarié invoque un vice du consentement (arrêt du 26 mars 2014arrêt du 20 décembre 2017)

Dans une décision inédite qui sera mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État se prononce sur le contrôle exercé par l’inspecteur du travail – et, en cas de litige, par le juge administratif – sur la demande d’autorisation de rupture conventionnelle du contrat de travail d’un salarié protégé.

Les points de contrôle de l’inspecteur du travail

Le Conseil d’État fixe, pour la première fois à notre connaissance, le cadre du contrôle devant être exercé par l’inspecteur du travail saisi d’une demande d’autorisation de la rupture conventionnelle conclue avec un salarié protégé.
L’inspecteur du travail doit vérifier :

  • qu’il est bien saisi d’une demande d’autorisation de rupture conventionnelle au sens des articles L. 1237-11 et suivants du code du travail, et non d’une rupture amiable conclue dans le cadre d’un accord de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compétences), d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou d’un accord de mobilité ou de rupture conventionnelle collective ;
  • que la procédure et les garanties fixées par le code du travail ont bien été respectées : négociation de la convention, contenu, indemnité de rupture et observation du délai de rétractation ;
  • et que les parties ont librement consenti à cette rupture, qui ne doit pas avoir été imposée.

► Ainsi, l’inspecteur du travail exerce, a minima, un contrôle identique à celui opéré par le Dreets (directeur régional du travail) lorsqu’il est saisi d’une demande d’homologation d’une rupture conventionnelle conclue avec un salarié « ordinaire ».

Le Conseil d’État précise que l’inspecteur du travail doit en outre vérifier, au vu des pièces du dossier, qu’aucune circonstance en rapport avec le mandat exercé par le salarié ou avec son appartenance syndicale n’a vicié son consentement.
Le consentement du salarié protégé à la rupture n’est pas libre s’il a été extorqué par l’employeur ayant exercé des pressions sur lui pour obtenir son départ de l’entreprise, en raison de ses fonctions représentatives.

► Cette précision du Conseil d’État s’appuie sur un argument textuel : l’article L. 1237-15 du code du travail, applicable à la rupture conventionnelle conclue avec un salarié protégé, renvoie aux dispositions de ce code relatives au licenciement dudit salarié. Et donc, notamment, aux articles R. 2421-7 et R. 2421-16 qui imposent à l’inspecteur du travail saisi d’une demande d’autorisation de licenciement de rechercher si cette mesure est en lien avec son mandat ou son appartenance syndicale.

Sauf vice du consentement, harcèlement et discrimination n’empêchent pas la rupture

Si l’inspecteur du travail constate que le salarié fait l’objet d’un harcèlement ou d’une discrimination en lien avec son mandat, doit-il systématiquement refuser d’autoriser la rupture conventionnelle ? Le Conseil d’État répond par la négative, reprenant à son compte un principe posé par la Cour de cassation à propos des salariés non protégés.

Dans cette affaire, un salarié titulaire de mandats électifs et conseiller prud’homme avait attaqué son employeur pour harcèlement moral et discrimination syndicale, et obtenu gain de cause en appel devant le juge judiciaire. Il avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail, et l’employeur avait en parallèle engagé une procédure de licenciement. L’inspecteur du travail ayant refusé d’autoriser la rupture, les parties avaient finalement signé une rupture conventionnelle, mettant ainsi un terme à leur litige. Mais le salarié avait ensuite demandé l’annulation de cette rupture, au motif que son consentement était vicié par le harcèlement et la discrimination qu’il avait subis.

La cour administrative d’appel saisie du litige a débouté le salarié. Son analyse est approuvée par le Conseil d’État, selon lequel l’existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale n’est pas de nature, par elle-même, à faire obstacle à ce que l’inspection du travail autorise une rupture conventionnelle.

Seul le vice du consentement qui résulterait du harcèlement ou de la discrimination justifie l’annulation de la rupture. Or tel n’était pas le cas, en l’espèce, selon le juge administratif, qui s’est notamment appuyé sur l’ancienneté des manquements de l’employeur et les conditions de conclusion de la convention de rupture. Il appartient donc à l’inspecteur du travail et, en cas de litige, au juge administratif d’examiner au cas par cas les circonstances de fait pour déterminer si le consentement du salarié a été vicié.

► Ainsi, le Conseil d’État adopte la même position que la Cour de cassation, qui juge de manière constante à propos des salariés non protégés qu’aucune circonstance ne permet, par elle-même, d’annuler la rupture conventionnelle. Ainsi, la rupture n’est pas nulle du seul fait de l’existence d’un différend opposant les parties au moment de sa conclusion (arrêt du 23 mai 2013) ou de faits de harcèlement (arrêt du 23 janvier 2019). Mais si l’examen des circonstances met en évidence un vice du consentement, la rupture est annulée : ainsi jugé en cas de harcèlement moral (arrêt du 28 janvier 2016arrêt du 29 janvier 2020) ou sexuel (arrêt du 4 novembre 2021), ou de menaces et pressions de l’employeur (arrêt du 8 juillet 2020).

 

Laurence Mechin