Les délais d’expertise pour les experts du CSE sont très contraints et limités. L’expertise commence donc, en général, immédiatement après le vote de la délibération. Aussi, lorsque cette expertise est remise en cause en justice et la délibération annulée, des frais ont souvent déjà été payés. D’autant que les délais judiciaires peuvent s’étirer dans le temps, comme dans cette affaire. Le code du travail prévoit à cet égard que l’expert doit rembourser ces frais à l’employeur, et ce alors même qu’un réel travail d’expertise a bel e tbien été réalisé. C’est pourquoi une association d’experts auprès des CSE a soumis à la Cour de cassation cette Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), mettant en cause cettedisposition du code du travail.
Dans cette affaire, par une délibération, le CHSCT d’un centre hospitalier décide de recourir à une expertise sur le fondement de l’article L. 4614-12, 1° du code du travail en faisant état d’un risque grave et mandate à cette fin un expert en janvier 2018.
Le centre hospitalier conteste cette délibération, recours d’abord rejeté puis renvoyé devant le tribunal judiciaire suite à cassation. Considérant qu’aucun risque grave pour la santé des salariés n’était caractérisé, le tribunal judiciaire annule cette délibération par décision du 12 mars 2020. L’expert est condamné au remboursement auprès du centre hospitalier de plus de 43 000€.
► Remarque : rappelons que l’employeur doit contester la délibération dans les 10 jours, et que le juge statue dans les 10 jours de sa saisine. Puis le délai du pourvoi en cassation formé à l’encontre du jugement est de 10 jours à compter de sa notification. Mais, l’obligation faite au juge de statuer dans un délai de 10 jours suivant sa saisine n’est pas prescrite à peine de nullité de l’ordonnance de référé (par exemple, Cass. soc., 6 juin 2018, n° 16-28.026). Aussi, la procédure peut s’étirer dans le temps comme dans cette affaire : plus de deux ans entre la délibération et son annulation, l’expertise est effectuée et restituée depuis longtemps !
Une association d’experts auprès des CSE et CHSCT est intervenue à l’instance, et letribunal judiciaire transmet une Question prioritaire de constitutionnalité à la Cour decassation.
La QPC met en cause l’article L. 4613-14, al. 3, deuxième phrase du code du travail « en ce qu’il impose à l’expert de rembourser les sommes perçues pour une expertise qu’il a réalisée en vertu d’une délibération du CHSCT ». Cette disposition prive-t-elle de toute protection « le droit de propriété de l’expert consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et méconnaît-elle le droit au maintien de l’économie des conventions légalement conclues découlant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789, le principe de responsabilité découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789 et les droits de participation des travailleurs à la détermination des conditions detravail et de protection de la santé des travailleurs découlant des huitième et onzièmealinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ? »
Pour la Cour de cassation, cette question ne présente pas un caractère sérieux. Il n’y a pas d’atteinte au droit de propriété car l’existence d’une créance de l’expert à l’égard de l’employeur est subordonnée au caractère définitif de la décision du comité. Ensuite, la Cour explique que les dispositions légales afférentes aux frais d’expertise ne ressortent pas du droit au maintien de l’économie des conventions légalement conclues.
Enfin, l’obligation de remboursement de l’expert en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du comité répond bien aux exigences constitutionnelles de participation destravailleurs à la détermination des conditions de travail ainsi que de la protection de la santédes travailleurs « en ce qu’elle permet l’exercice par ce comité du droit à expertise », et, « dans la mesure où elle ne vaut que dans le cas d’annulation définitive de la décision duditcomité et où le comité d’entreprise peut, à tout moment, décider de prendre en charge lesfrais d’expertise dans les conditions prévues à l’article L. 2325-41-1 du code du travail ». En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
D’après nous, cette solution est transposable au CSE qui a récupéré les attributions du CHSCT et notamment le droit de désigner un expert en cas de risque grave. L’article L.2315-86, al. 7 prévoit, à l’instar de l’article L. 4613-14, al. 3, deuxième phrase, « qu’en cas d’annulation définitive par le juge de la délibération du comité social et économique, les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur. Le comité social et économique peut, à tout moment, décider de les prendre en charge ».
Ce principe étant institué pour l’ensemble des expertises du CSE (sous le paragraphe du code du travail relatif aux dispositions générales applicables aux expertises du CSE), la décision de la Cour de cassation s’applique à toutes ces expertises, qu’elles relèvent de l’expert-comptable ou d’un expert habilité.