Tant que le CSE ignore le montant exact des sommes et moyens en personnel fournis par l’entreprise au titre de la subvention de fonctionnement, le délai de prescription ne peut pas avoir commencé à courir.
 
Un créancier qui agit contre son débiteur pour obtenir le paiement de sa créance a 5 ans pour le faire à compter du jour où il a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des éléments de calcul de sa créance, nous dit en substance l’article 2224 du code civil. C’est ce qu’on appelle le délai de prescription, à l’issue duquel plus aucune action ne sera possible. Replaçons ces éléments dans le contexte du CSE, pour mieux comprendre un arrêt du 5 février 2020 de la Cour de cassation.
 
Créancier, débiteur et créance
Ici, donc, le créancier, c’est le comité social et économique. Le débiteur, c’est l’employeur. La créance, c’est le budget de fonctionnement (soit 0,2% de la masse salariale brute dans les entreprises de 50 à 2 000 salariés et 0,22 % dans celles de plus de 2 000 salariés, voir l’article L. 2315-61) et/ou le budget des activités sociales et culturelles. Les éléments de calcul de la créance, c’est en premier lieu le montant de la masse salariale brute de l’entreprise qui sert à calculer les deux subventions.
C’est aussi, pour le budget de fonctionnement, les éventuels moyens matériels et/ou humains dont le CSE bénéficie directement (salarié détaché, fournitures de bureau, consommables informatiques, frais postaux, utilisation des photocopieuses de l’entreprise, etc.) et que l’employeur est autorisé à déduire de la somme à verser au comité (*). Si la valeur de ces moyens atteint le montant de la subvention légale, l’employeur sera dispensé de tout versement. S’ils sont inférieurs, il devra seulement payer au comité la différence. Il est donc très important pour le CSE de connaître la valeur exacte de ces moyens et d’en avoir une « facture détaillée » fournie par l’employeur. Or la pratique montre pourtant que les élus ignorent assez souvent la valeur exacte des moyens mis à leur disposition, et même qu’ils acceptent une déduction forfaitaire de leur budget de fonctionnement sans s’interroger plus avant.
 
Un accord d’entreprise sur la mise à diposition de moyens au CE
Venons-en maintenant à notre jurisprudence du 5 février 2020. Elle nous indique une règle importante :  tant que comité ignore « le montant exact des sommes et moyens en personnel fournis par l’entreprise au titre de la subvention de fonctionnement », le délai de prescription ne commence pas à courir. En conséquence, si le comité intente une action en paiement, il pourra remonter dans le temps au-delà de 5 ans. Dans cette affaire, qui concerne un CE mais qui est transposable au CSE, employeur et organisations syndicales s’étaient mis d’accord dans le cadre d’un accord d’entreprise pour considérer que les sommes et moyens matériels dont bénéficiaient déjà les comités d’établissement pour leur fonctionnement dépassaient « largement le montant fixé par les dispositions légales et réglementaires ».
Mais voilà, absolument rien ne permettait de vérifier ce postulat. L’employeur, malgré une première condamnation en référé à produire les éléments relatifs à la masse salariale brute et les montants des sommes et moyens mis à disposition du CE, n’avait fourni aucun élément permettant de procéder à cette vérification. Après 2 ans d’attente, le CE avait alors décidé de retourner devant le tribunal de grande instance.
 
A situation inconnue, prescription inconnue
Pour les juges, c’est clair : le délai de prescription ne pouvait pas avoir commencé à courir puisque le comité d’établissement ignorait le montant exact des sommes et moyens en personnel fournis par l’entreprise au titre de la subvention de fonctionnement. L’action en paiement intentée en 2016 pour obtenir un rappel de budget de fonctionnement d’un montant de  2 003 369 euros pour les années 2006 à 2014 était donc, dans son principe, recevable. Il n’en demeure pas moins qu’on ignore ce qu’il sera décidé, les juges ayant été obligés d’ordonner une mesure d’expertise dans le but de faire vérifier que les moyens mis à disposition par l’employeur étaient au moins égaux au montant de la subvention légale. Ajoutons que les droits et obligations du CE ayant été automatiquement transférés au comité social et économique (CSE) par l’effet de la loi, on peut légitimement penser qu’un CSE serait en droit de demander un rappel de budget au titre des années antérieures à sa mise en place. 
 
(*) Voir l’article L. 2315-61 du code du travail. C’est sans doute par oubli que cet article ne mentionne pas explicitement, pour la déduction des moyens mis à disposition du comité par l’entreprise du financement du CSE, les comités économiques et sociaux dont le budget de fonctionnement est de 0,2% de la masse salariale et se contente d’évoquer les CSE disposant de 0,22% : « Ce montant s’ajoute à la subvention destinée aux activités sociales et culturelles, sauf si l’employeur fait déjà bénéficier le comité d’une somme ou de moyens en personnel équivalents à 0,22 % de la masse salariale brute ».

Source – Actuel CE