Dans l’expectative concernant la fusion des conventions collectives et la réforme de la formation, les branches négocient peu. Pour sortir de l’attentisme, la CFE-CGC propose de donner à des branches élargies un rôle étendu en matière économique et sociale. Interview de Gilles Lécuelle, secrétaire confédéral CFE-CGC en charge du dialogue social.

Hormis les accords salariaux et, dans une moindre mesure, ceux sur la prévoyance, les branches professionnelles produisent peu de textes depuis plusieurs mois. Que se passe-t-il  : phénomène conjoncturel lié à la digestion des ordonnances et aux changements patronaux à venir ? Tendance plus profonde de repli des employeurs vers le niveau de l’entreprise ? Attentisme dû aux chantiers de la fusion des branches et de la réforme de la formation professionnelle ? L’interview de Gilles Lécuelle, chargé du dialogue social à la CFE-CGC.

Les ordonnances Travail instaurent une nouvelle articulation des niveaux de négociation entre la branche et l’entreprise avec trois « blocs » (voir notre infographie). Mais que se passe-t-il dans les branches actuellement ? Confirment-elles les clauses de verrouillage existantes pour que leurs effets continuent après le 1er janvier 2019 ? Rendent-elles impératives certains domaines prévus par le bloc 2 (facteurs de risques, insertion professionnelle des travailleurs handicapés, désignation des délégués syndicaux, primes pour travaux dangereux et insalubres) ? Laissent-elles les entreprises négocier librement ?
Quelques branches, comme le pétrole, ont commencé la réflexion sur ces sujets, mais c’est pour l’instant très timide. Nous avons peu de remontées. Nous savons en revanche que les négociateurs de branche se posent beaucoup de questions. Ils se demandent comment réagir face à toutes ces nouveautés. Jusqu’à présent, notre confédération a fait un travail d’information sur les modifications concernant les branches instaurées par les ordonnances, notamment sur l’articulation des différents niveaux de négociation. Nous avons fourni des fiches d’information à nos fédérations.
 Nous préparons un guide d’aide à la négociation

Maintenant, nous allons alimenter nos négociateurs de branche en leur donnant des préconisations sur les négociations elles-mêmes, c’est à dire sur la répartition entre les blocs, sur ce que les branches peuvent choisir ou non de garder comme sujets de négociation. L’idée est d’arriver à sortir un guide d’aide à la négociation, un outil recensant les bonnes idées à partir des premières remontées. Dès cette semaine, notre service juridique recense tous les points à passer au peigne-fin pour lister les sujets devant faire l’objet de négociations dans les branches, avec les délais.

Y-a-t-il une position confédérale de la CFE-CGC sur les sujets qu’une branche doit traiter ou pas ?

Non, et je ne suis pas certain qu’il y en aura une. A partir du moment où la loi renvoie à la branche le choix des sujets qu’elle prend ou non, c’est à la branche de s’approprier la question et de choisir. Un exemple : la branche peut désormais négocier la possibilité de CDI de chantier. C’est aux acteurs de terrain, en fonction des spécificités économiques de leur secteur, des métiers, des besoins, de s’emparer ou non de ce sujet. C’est une responsabilité qui à mon avis ne peut pas être confédérale. Au contraire d’autres sujets comme par exemple le conseil d’entreprise, qui peut faire l’objet d’une négociation de branche : nous sommes clairement opposés à la négociation de ce type d’instance.

Nous sommes opposés au conseil d’entreprise 

 

Nous disons attention, c’est une arnaque complète et un risque pour le syndicalisme. Donner la prérogative de négocier des accords d’entreprise à un collectif d’élus y compris s’ils sont sans étiquette, c’est la mort du syndicalisme. C’est prendre le risque que les directions suscitent elles-mêmes des candidatures non syndiquées. En outre, le DS syndical à qui une direction met la pression pour obtenir sa signature peut être protégé par sa confédération. Celle-ci peut couper le lien de subordination qui existe entre un employé et son employeur en disant à l’entreprise que c’est le syndicat du DS qui s’oppose à la signature d’un accord, car le DS est porteur d’un mandat de sa structure.

Donc, l’atonie qu’on observe actuellement dans les branches professionnelles s’explique par le temps nécessaire à l’appropriation des changements ?

Il faut savoir que la négociation de branche prend du temps, c’est assez lourd. Pour arriver à un accord, il faut 3, 4, 5 réunions de négociation, et pour peu qu’il y ait déjà une NAO engagée et qu’on soit dans l’année de révision d’un accord sur l’égalité professionnelle, par exemple, l’agenda social de la branche est déjà complet, et c’est difficile d’en rajouter. En outre, il faut du temps pour assimiler les changements des ordonnances, que ce soit dans l’entreprise, avec la mise en place des comités sociaux et économiques, ou dans les branches.

Ne pas savoir à quoi va ressembler une branche demain explique l’attentisme actuel 

Et surtout, le chantier de la restructuration des branches paralyse leur activité. Ne pas savoir à quoi va ressembler une branche demain produit un effet d’attentisme. C’est difficile de négocier sur la prééminence ou non de la branche sur tel ou tel sujet si on ne sait pas exactement quels sont les contours de la branche, c’est à dire les secteurs et les entreprises qui la composent. Pour construire, il vaut mieux des fondations solides et là, avec la fusion, tout risque de voler en éclat.

Donc, à vos yeux, ce n’est pas le Medef qui cherche à donner la priorité à la négociation d’entreprise en retardant le chantier des branches….

Je ne suis pas sûr que le Medef ait la main sur les branches. Celles-ci sont gérées par des organisations patronales sectorielles qui ne me semblent pas avoir envie de se laisser dicter leur conduite dans leur domaine. Si elles ont envie de négocier, elles le feront. Ce qui a changé la donne côté patronal dans la branche, c’est plutôt la mise en place de la mesure de la représentativité patronale. Celle-ci dépend du nombre d’entreprises adhérentes et du nombre de salariés de ces entreprises. Avant, les branches étaient pilotées par des grands groupes qui ne s’intéressaient guère aux PME. Aujourd’hui, le fait qu’une organisation patronale ait intérêt à avoir des adhérents y compris parmi les PME conduit la branche à négocier aussi du point de vue des petites entreprises. Ces dernières années, on a vu ainsi apparaître des accords de branche dont les grandes entreprises n’avaient que faire, mais qui étaient destinés aux PME : par exemple, des branches ont mis en place des accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) qui ne sont pas contraignants mais qui se présentent surtout comme des guides ou des aides à la négociation. Le discours patronal aux PME, c’est : « La branche vous apporte des services et conseils, alors venez adhérer chez nous ».

Revenons au chantier de la fusion des branches : cela n’avance guère et la ministre a d’ailleurs évoqué une pause, le chantier de la formation étant prioritaire. Réclamez-vous le statu quo ?

Pas du tout. Au contraire, à la CFE-CGC, nous avons imaginé un projet définissant le rôle de la branche de demain. Le projet que nous portons auprès des autres partenaires sociaux et du gouvernement part de l’idée qu’une branche ne doit pas signifier une convention collective. Il faut réfléchir à ces regroupements en partant de la politique d’emploi et des synergies qu’on pourrait dégager en regroupant dans une même branche des métiers proches, pour définir par exemple des politiques de formation.

Quelle est votre conception de la branche ?

La branche n’est pas qu’un lieu de négociation. Le problème, c’est que depuis qu’on parle de fusion des branches, tout le monde, à commencer par la direction générale du travail (DGT), semble considérer qu’une branche égale une convention collective (un numéro d’IDCC).  Et donc, pour fusionner les branches, il faudrait fusionner les conventions collectives (IDCC) et réduire leur nombre. C’est ce que tente de faire la sous-commission de la CNNC (commission nationale de la négociation collective) : on prend les IDCC représentant moins de tant de salariés, celles qui n’ont pas de vie sociale, et on cherche à quoi les rattacher pour les supprimer, l’idée générale étant d’aller vers une grande branche mère dont la convention collective se substituera au bout de 5 ans à toutes les autres conventions collectives.  Mais pour nous, la branche, ce n’est pas ça !

Quelle est donc votre vision ?

La négociation collective n’est qu’une mission de la branche. Sa mission principale, c’est de définir des politiques sociales et économiques, et cela suppose pour cela que la branche soit dotée des moyens humains et financiers.

Une branche, c’est d’abord une politique sociale et économique 

Les branches qui vont bien, ce sont celles qui ont un observatoire des métiers, celles qui mènent une réflexion et des études prospectives sur l’activité et les compétences nécessaires demain. Dans la chimie par exemple, la branche a travaillé sur la cartographie des formations qui conduisent aux métiers présents dans le secteur, que ce soit en formation initiale ou continue, et la branche a lancé des études (avec le Céreq et l’Apec) sur les emplois non-cadres et cadres. En partant des besoins de compétences, cette branche a réussi à faire évoluer des diplômes de l’éducation nationale, à créer un BTS fabrication, à réviser un bac professionnel, etc. Mais cela suppose des moyens : un directeur économique, une responsable de formation, etc.

Mais c’est un schéma idéal, non ?

Il faut amener les branches professionnelles vers ce schéma, c’est pourquoi nous sommes favorables à la fusion des branches, afin d’avoir des branches dotées de moyens leur permettant de jouer ce rôle prospectif. Le périmètre de la branche devrait lui permettre d’avoir deux niveaux de négociation autonomes.

 Il nous faut des branches capables de jouer un rôle prospectif

Le premier niveau serait un socle commun à la branche, avec des thèmes impératifs de négociation et d’action (comme la formation professionnelle, l’égalité professionnelle, le financement du paritarisme, les observatoires, etc.) auxquels pourraient s’ajouter d’autres thèmes si la branche le décide lors de sa création (Nldr : voir le schéma ci-dessous). Le deuxième niveau pourrait être constitué de sous-champs, sectoriels, territoriaux ou catégoriels, que les négociateurs définiraient eux-mêmes. A ce niveau, les négociateurs doivent être légitimes, représentatifs au niveau d’un accord professionnel (ou convention collective) pour traiter les sujets des classifications, des salaires, des garanties complémentaires, de la durée du travail, etc. Ces accords auraient la primauté sur le premier niveau.

Vous plaidez pour une représentativité différente selon les niveaux…

Oui, c’est la grande différence entre notre vision et celle de la CFDT qui s’inscrit dans une logique de fusion des conventions collectives avec une représentativité mesurée seulement au sommet de la branche. Pour nous, cette logique ne fonctionnera pas et constitue en outre un risque de révision à la baisse des garanties.

Combien doit-il rester de branches selon vous ?

Je ne sais pas répondre à cette question. C’est aux acteurs de terrain de décider de se retrouver sur des projets permettant des synergies. Mais l’un des freins à la fusion, ce sont les conventions collectives. Il y a de telles différences de classifications, de salaires minimas, d’avantages, etc. que ceux qui sont moins bien lotis côté patronal refusent d’intégrer une convention mieux-disante, alors que les représentants des salariés refusent logiquement d’aller vers une convention moins avantageuse. Ce n’est donc pas étonnant si, dans les faits, rien n’avance.

Votre projet est-il compatible avec la réforme des OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) du projet de loi sur l’avenir professionnel ?

Oui. Réduire le nombre de branches permettrait de faire de chacune d’elle un organe politique paritaire, capable de mener une vraie politique de formation. Chaque branche reprendrait les missions de la SPP (section paritaire professionnelle) et de l’actuelle CPPNI (commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation), pour couvrir tout ce qui a trait à l’emploi, à la formation et à l’interprétation des textes. En outre, nous pensons qu’il faut donner une personnalité morale à la branche pour être en mesure de faire des investissements utiles (dans un campus, dans un CFA, etc.).

Qu’est-ce qui vous fait penser que le gouvernement vous écoutera davantage que lors des ordonnances ?

Pour un gouvernement qui veut imposer ses vues, réécrire le code du travail, ce n’est pas si compliqué, d’autant que les entreprises y trouvent leur compte. Mais la fusion des branches, c’est une autre histoire. Vous pouvez écrire tous les textes que vous voulez, si les acteurs de terrain ne s’emparent pas du processus, et si le schéma imposé ne satisfait personne, rien ne se fera. C’est pourquoi nous proposons de prendre en compte les acteurs de terrain…

(*) Sur la première mesure de la représentativité patronale, voir notre infographie. Sur la deuxième mesure de la représentativité syndicale dans les branches, voir notre infographie.

Le schéma proposé par la CFE-CGC pour les branches

(AR : arrêté de représentativité / IDCC : convention collective )

CFE-CGC

Source – Actuel CE