Une société poursuivie pour non-désignation du conducteur du véhicule flashé ne peut valablement s’exonérer de sa responsabilité en invoquant la désignation de deux conducteurs susceptibles d’avoir commis l’excès de vitesse ou une irrégularité dans la procédure relative à l’infraction routière. Par ailleurs, il est confirmé que le paiement de la contravention par le dirigeant de la société ne vaut pas auto-désignation.
Lorsqu’une infraction routière (excès de vitesse, notamment) constatée par un radar automatique a été commise par un véhicule immatriculé au nom d’une société ou détenu par celle-ci, le représentant légal de cette société doit transmettre, auprès des autorités compétentes, l’identité et l’adresse du conducteur du véhicule dans un délai de 45 jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, sous peine d’amende (C. route, art. L. 121-6).
Plusieurs récents arrêts de la Cour de cassation apportent de nouveaux enseignements relatifs à cette infraction de non-désignation et complètent ainsi une jurisprudence déjà abondante sur le sujet.
Cas général
Dans une première affaire, le représentant légal d’une société a désigné, après avoir reçu un avis de contravention pour excès de vitesse, deux conducteurs possibles. Considérant que l’obligation de transmission des informations relatives au conducteur a été respectée, la cour d’appel relaxe la société.
A tort, selon la Cour de cassation, qui considère que la personne morale poursuivie sur le fondement de l’article L. 121-6 du code de la route ne peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en désignant deux conducteurs comme également susceptibles d’avoir commis l’infraction initiale.
Par ailleurs, la cour d’appel ayant relevé qu’il n’était pas prouvé que les conducteurs désignés étaient des employés de la société, la Haute juridiction ajoute que le fait que le conducteur désigné ne soit pas un employé de la personne morale poursuivie n’est pas une cause d’exonération prévue par l’article L. 121-6 du code de la route (Cass. crim., 17 nov. 2020, n° 20-81.241).
Remarque : par cette décision, la Cour de cassation applique à la lettre les dispositions de l’article L. 121-6 du code de la route. Elle cherche à écarter toute possibilité permettant au représentant légal de la société d’empêcher les poursuites contre le véritable auteur de l’infraction routière.
Cas particulier des sociétés de transport sanitaire
Dans d’autres arrêts (concernant la même société pour des contraventions distinctes), la cour d’appel relaxe une société de transport sanitaire dont le dirigeant a désigné deux conducteurs possibles pour chaque infraction routière, sur le fondement de la force majeure prévue au dernier alinéa de l’article 121-3 du code pénal. Elle relève que la composition des équipages effectuant des transports sanitaires doit être de deux personnes pour les ambulances, dont un ambulancier, et que la société est tenue, par la réglementation en vigueur, d’utiliser un document intitulé « feuille de route hebdomadaire transport sanitaire » qui ne comporte pas de rubrique destinée à recueillir l’indication des heures de conduite de chacun des deux chauffeurs. Les juges du fond en déduisent que le dirigeant de la société ne pouvait savoir lequel des deux salariés conduisait au moment de l’infraction routière et devait dénoncer les deux employés qui se trouvaient dans le véhicule.
Cette argumentation n’a pas convaincu la Cour de cassation, selon laquelle ne constitue pas un cas de force majeure l’obligation de tenue d’une feuille de route ne comportant aucune rubrique dédiée à l’identification, à tout moment, du conducteur. En effet, dans une première décision, la Haute juridiction retient que la société poursuivie conserve la faculté d’organiser par ailleurs un recensement des chauffeurs qui lui permette de satisfaire aux exigences de l’article L. 121-6 du code de la route (Cass. crim., 17 nov. 2020, n° 20-81.249). Dans les autres arrêts, la Cour de cassation considère que l’événement de force majeure invoqué n’est pas irrésistible pour la société qui, bien que réglementairement tenue de constituer des équipages de transport sanitaire comprenant deux conducteurs, peut, dans le cadre du pouvoir de direction et de contrôle dévolu à ses organes, instaurer les procédures internes lui permettant de connaître les horaires de conduite individualisés des conducteurs de ses véhicules (Cass. crim., 26 janv. 2021, n°s 20-83.913, 20-83.917, 20-83.918, 20-83.920).
Dans trois arrêts (deux intéressant la même société pour des contraventions distinctes), la cour d’appel de Reims relaxe chacune des sociétés poursuivies pour non-désignation du conducteur au motif que la procédure relative à l’infraction routière est irrégulière.
La Cour de cassation censure ces décisions : la caractérisation de la contravention de non-transmission, par le représentant légal d’une personne morale, de l’identité et de l’adresse du conducteur du véhicule au moment où a été constatée une contravention au code de la route, n’est pas conditionnée par la validité de la procédure relative à cette contravention initiale. Dès lors, il n’appartient pas au juge, saisi de poursuites contre une personne morale pour non-désignation du conducteur du véhicule au moment de la contravention initiale, de se prononcer sur la validité de la procédure relative à cette contravention (Cass. crim., 17 nov. 2020, n°s 20-81.244, 20-81.245 et 20-81.248).
Déclaré coupable de l’infraction de non-désignation, le dirigeant d’une société soulève une exception de nullité fondée sur le caractère déloyal de l’envoi de l’avis de contravention initial au représentant légal de la société. Il soutient que l’envoi de la contravention routière qui indique, d’une part, qu’il lui revient de payer l’amende s’il reconnaît l’infraction mais, d’autre part, qu’il doit au préalable désigner le conducteur, constitue une provocation d’infraction contraire au principe de loyauté de la preuve (Conv. EDH, art. 6 ; C. pr. pén., art. prél. et 593).
Cette argumentation est rejetée par les juges. La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, considère que l’avis de contravention n’est pas ambigu et ne laisse pas penser au représentant légal de la société qu’en réglant la contravention, il s’est autodésigné comme étant l’auteur de l’infraction d’excès de vitesse. En l’espèce, le prévenu n’ayant indiqué dans le délai imparti ni le nom ni l’adresse du conducteur, sa condamnation est justifiée (Cass. crim., 18 nov. 2020, n° 19-87.631).
Remarque : dans le même sens, la Cour de cassation avait écarté l’argumentation selon laquelle le paiement de l’amende vaut reconnaissance de l’infraction et donc respect de l’obligation de désigner le conducteur (Cass. crim., 15 janv. 2019, n° 18-82.380, n° 3426 FS – P + B ; Cass. crim., 15 janv. 2019, n° 18-82.379).
Source : Actuel-expert-comptable