Lors d’une journée d’échanges et de réflexion, « L’Observatoire », tenue à Angers le mardi 29 septembre, les responsables du réseau inter-CSE Cezam, qui compte des associations régionales fédérant 5 000 CSE et collectifs dans toute la France, ont présenté à une centaine de membres de CSE le résultat d’une enquête menée au plan national au sujet de la crise sanitaire. Vincent Leprince, qui a restitué les résultats, en a lui-même souligné les limites : environ 300 élus du personnel ont répondu à cette enquête, menée entre le 15 juin et le 11 septembre, sachant qu’il s’agit le plus souvent d’élus syndiqués (72% déclarent une présence syndicale dans l’entreprise), donc pas forcément représentatifs de l’ensemble des membres des CSE (1).
Ceci expliquant sans doute cela, les élus interrogés paraissent déjà relativement formés à leur mandat. En effet, environ 44% des élus interrogés ont déjà suivi une formation économique et 38% une formation sur la santé, sécurité et les conditions de travail, comme on le voit ci-dessous.
Plusieurs éléments de ce travail corroborent le sondage en ligne effectué récemment par Syndex. Cette enquête soulignait la fatigue ressentie par les élus du personnel du fait d’avoir dû traiter en urgence les problématiques de santé au travail liées à la Covid-19 ainsi que ses conséquences sociales et économiques, le tout dans des délais resserrés et avec des moyens comptés (lire notre article).
Dans l’enquête Cezam, pas moins de 54% des élus interrogés jugent que le dialogue social dans l’entreprise a été altéré par le manque de temps de leur part. Comme on le voit ci-dessous, ils sont seulement 20% à avoir utilisé la totalité de leurs heures de délégation durant cette période. Reste à savoir pourquoi les autres n’ont pas pu en faire autant : impossibilité de dégager du temps sans nuire à leur travail ou à celui de leurs collègues, mise en retrait, autres préoccupations dominantes ?
Par ailleurs, 26% des élus déplorent leur manque de moyens donnés et 11% les divisions syndicales. Le manque de temps consacré par les dirigeants au dialogue social est aussi invoqué par 29% des élus.
Pour autant, les membres des CSE jugent que le dialogue social existe dans leur entreprise, celui-ci étant pour 54% des élus « parfois constructif », pour 43% « souvent constructif », mais qu’il s’accompagne de tensions (pour 84% des élus). « Les élus sont 92% à estimer parvenir à faire bouger les lignes », souligne Vincent Leprince. On peut toutefois s’interroger sur ce dernier point. En effet, les élus paraissent satisfaits de la qualité de l’information donnée aux comités quand il s’agit de la situation présente ou de projets mais ils disent généralement avoir du mal (27% jamais et 54% parfois) à être associés en amont des projets, comme on le voit ci-dessous. Présente lors de cette journée, l’avocate Hélène Signoret (Lbba) a d’ailleurs incité les salariés à chercher à accéder le plus tôt possible à l’information sur la situation de leur entreprise, y compris en déclenchant le cas échéant un droit d’alerte dès lors que des éléments paraissent préoccupants quant à la situation économique de la société (2).
Comment s’est déroulé le dialogue social entre la représentation du personnel et la direction lors de la crise sanitaire ? Tout dépend des sujets, pourrait-on résumer. Si 81% des élus dont l’entreprise a été en activité partielle ont été consultés sur le sujet, cela n’a été le cas que de 50% des élus pour le télétravail, 65% d’entre eux ne disposant pas d’un accord sur le sujet. Par ailleurs, 70% des élus d’entreprises ayant mis en place un plan de continuité d’activité (sur environ 45% des entreprises selon les élus interrogés) signalent une consultation sur le sujet mais, fait pour le moins inquiétant, 56% de l’ensemble des sondés s’avouent incapables de répondre à la question.
De la même façon, 22% des élus ignorent si le document d’évaluation des risques (DUER) a été mis à jour. Vincent Leprince est enclin à interpréter ces paradoxes par un dialogue social à deux vitesses, qui se serait renforcé là où il était déjà présent avant la crise sanitaire, et qui n’aurait toujours pas été activé là où il était inexistant auparavant. Pour la reprise d’activité, 67% des élus disent avoir vu « passer » le protocole, avec dans 85% des cas une consultation effective.
Toujours au sujet de la crise sanitaire, 30% des sondés ont organisé des inspections qui, dans 88% des cas, ont permis de mettre en place de nouvelles mesures de prévention des risques. En revanche, quasiment aucun droit d’alerte n’a été activé, ce qui est surprenant, d’autant que cette procédure peut s’avérer nécessaire pour la mise en place ou le respect d’un protocole sanitaire (lire notre article).
Pendant le confinement (entre le 16 mars et le 11 mai), les réunions du comité ont eu lieu selon la plupart des élus interrogés, 54% des élus évoquant 3 réunions et plus, ces échanges se poursuivant pour le déconfinement, du 12 mai au 15 juin.
Selon la moitié des élus, ces réunions ont eu lieu par visioconférence. Pour 72% des élus, ces réunions du CSE ont permis de débattre de la situation, et 76% des répondants affirment que l’employeur a suivi partiellement leurs préconisations. Plus de 80% des élus assurent avoir pu maintenir le contact avec les salariés pendant la période, et 56% disent avoir transmis à l’employeur leurs réclamations, résolues dans 33% des cas. C’est malgré tout ce point qui est jugé le plus problématique par les élus : la moitié des membres du CSE jugent que le lien avec les salariés leur a manqué. Pour autant, seuls 20% des élus ont mis en place de nouveaux moyens de communications pour les toucher.
Pour se tenir informés des changements législatifs et réglementaires incessants pendant la crise sanitaire, les élus ont d’abord compté sur leur syndicat (45%) et…sur eux-mêmes (25%) pour trouver l’information, devant les partenaires juridiques et/ou avocats (15%). Les membres des CSE paraissent peu nombreux (20% environ) à avoir sollicité la médecine du travail et l’inspection du travail, et à avoir suivi les webinaires organisés par de nombreux acteurs lors de cette période.
D’autres éléments présents dans l’enquête sont encourageants quant au futur de la représentation du personnel. Ainsi, alors que 28% des salariés interrogés seulement travaillent dans des entreprises de plus de 300 salariés, ils sont 64% à indiquer la présence d’une commission santé, sécurité, conditions de travail (CSSCT) dont la présence n’est obligatoire qu’à partir de 300 salariés, et ils sont 36% à signaler la présence de représentants de proximité, un mandat facultatif. Deux éléments à mettre en rapport avec le fait que 65% des élus déclarent que la mise en place du CSE a fait l’objet d’un accord, un pourcentage assez élevé qui peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’élus d’entreprise où des syndicats sont implantés et actifs.
Enfin, quand on les interroge sur leur état d’esprit, seuls 6% des élus se disent proches de la démission, 61% s’affirmant « motivés », un résultat à ranger dans la colonne « plus » du tableau de synthèse fait par Cezam sur cette enquête :
Les signes positifs | Les signes inquiétants |
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La crise a renforcé le rôle du CSE et l’importance de son lien avec les salariés | Un risque de formalisme dans le dialogue social |
Dialogue social existant et réactif | Un manque de temps et de moyens |
Les élus se forment et agissent avec leur syndicat | Vigilance sur l’appropriation par les élus de la mission santé, sécurité et conditions de travail du CSE |
Une autonomie d’accès à l’information | Des ressources (inspection et médecine du travail, Carsat, etc.) pas assez sollicitées |
Des élus toujours motivés | Connaissance des droits à développer |
Organisation à optimiser (surcharge de travail des élus) | |
Communication numérique à développer |
Ajoutons pour finir que l’actualité n’est guère souriante pour les élus des CSE, y compris au rayon loisirs. Le réseau Cezam à Angers a dû annuler les spectacles organisés pour les CSE au moment de Noël, qui rassemblent habituellement des milliers de spectateurs en Pays-de-Loire, et l’absence d’activité concernant les loisirs et la billetterie a entraîné le placement en activité partielle de nombreux salariés de l’association.
(1) Le sondage est à découvrir en pièce jointe. Sur les 300 élus qui ont répondu à l’enquête, 91% appartiennent au secteur privé, 41% dans des entreprises de 50 à 149 salariés, 21% dans des entreprises de 150 à 299 salariés, 12% entre 300 et 499, 10% entre 500 et 1 000 et seulement 6% dans des sociétés de plus de 1 000 salariés.
(2) Comme d’autres syndicalistes et consultants, l’avocate a mise en garde les élus au sujet des négociations lancées par leur direction : « Soyez très vigilants quand les discussions commencent : dans quel cadre vous inscrit-on ? Vous devez vous demandez s’il ne s’agit pas d’un accord de performance collective ».
Un dialogue social correct, mais une charge de travail qui s’accroît
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Le dialogue social pendant la crise sanitaire ? Pour Pascal Frezzato, secrétaire adjoint du CSE du groupe plasturgique Maine, qui emploie 150 salariés à Ambrières-les-Vallées (Mayenne), les relations ont été assez bonnes entre les élus et la direction, et les réunions nombreuses. « Nous avons eu une réunion du CSE le matin. L’après midi, l’usine était arrêtée et nous étions confinés », raconte-t-il. Il y a des réunions, des discussions, mais le personnel est fatigué
Les réunions suivantes ont eu lieu en visioconférence avec parfois des élus présents sur site, et ont traité de l’activité partielle puis de la reprise d’activité, à partir du 11 mai. En revanche, depuis la rentrée, le rythme de travail n’a cessé d’augmenter. « Nous sommes passés à 48 heures par semaine, avec des samedis travaillés pour octobre », souligne l’élu qui constate que tout le personnel est fatigué. Selon le secrétaire adjoint du CSE, ces cadences sont dues pour partie aux difficultés de recrutement éprouvées par l’employeur sur des métiers très techniques et demandant une forte expérience, comme les règleurs en extrusion. « Peut-être faudrait-il aussi augmenter les salaires », glisse l’élu. |