Quels effets a produit le passage à une instance unique, le comité social et économique (CSE), dans les entreprises de 2017 à 2019 ? Et quelle image peut-on se faire du paysage de la représentation du personnel après ce bouleversement ? Ces deux questions, la direction de l’animation de la recherche et des statistiques du ministère du travail, la Dares, les aborde régulièrement sous la forme d’études revenant sur les conséquences des cycles électoraux (voir notre infographie).
Ainsi, on savait déjà depuis 2023 que le taux de couverture des entreprises par une instance représentative du personnel (IRP) avait baissé de 5,1 points entre 2018 et 2021. La dernière production de la Dares, publiée le jeudi 22 février 2024, apporte des précisions sur l’affaiblissement de la représentation du personnel dans les entreprises.
D’un cycle à l’autre, c’est-à-dire entre la période électorale 2013-2016 et la période 2017-2020 qui a vu la mise en place du CSE dans les entreprises, le nombre d’élus du personnel a baissé de 5,6% au total, ce qui représente 18 438 élus de moins.
« A l’issue du cycle 2017-2020, les entreprises (…) disposent en moyenne de 2,9 élus du personnel pour 100 électeurs, contre 3,1 sur le cycle précédent », constate la Dares.
Cette baisse est-elle corrélée à une baisse d’effectifs dans les entreprises ? Le tableau ci-dessous invite à la prudence : si ce lien semble avéré pour les petites entreprises, la progression du nombre d’inscrits dans les listes électorales des entreprises de 200 à 299 salariés n’empêche pas qu’on observe dans cette catégorie une baisse du nombre d’élus.
Évolution du nombre d’inscrits et d’élus
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Taille d’entreprise | Évolution du nombre d’inscrits sur les listes électorales de 2016 à 2020 (en %) | Évolution du nombre d’élus de 2016 à 2020 (en %) |
11-49 salariés | + 19.1 | + 17.1 |
50-299 salariés | + 9.5 | + 15.2 |
200-299 salariés | + 2.1 | – 4 |
300 salariés et + | – 5 | – 23.4 |
► Lecture : d’un cycle électoral à l’autre, le nombre d’inscrits sur les listes électorales a chuté de 5% dans les entreprises d’au moins 300 salariés, lesquelles ont vu leur nombre d’élus baisser de 23,4% |
Cette baisse globale du nombre d’élus ne s’explique pas davantage par le nombre total de sièges à pourvoir, sensiblement le même d’un cycle à l’autre, autour de 350 000 (*). D’où vient alors que 40 000 sièges – soit 70% de plus que lors du cycle précédent ! – n’ont pas été pourvus ?
Ici, la Dares émet une hypothèse largement partagée par les acteurs et observateurs des IRP sur cette désaffection : la complexification des mandats dans un CSE aux multiples rôles « aurait découragé certains élus et salariés à endosser de nouvelles responsabilités ». Cela expliquerait la progression (+ 14,1 points !) de la part des procès-verbaux de carence lors du cycle 2017-2020, comme on le voit ci-dessous. Notons que ce phénomène ne touche pas, au contraire, les entreprises de plus de 300 salariés, puisqu’elles affichent une diminution du taux d’absence de candidatures. On peut y voir l’effet d’une mobilisation syndicale, les OS étant bien plus implantées dans les entreprises importantes.
Évolution de la part des carences totales de candidatures
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Taille d’entreprise | Proportion des carences de candidatures cycle 2013-2016 (%) | Proportion des carences de candidatures dans le cycle 2017-2020 (%) | Évolution (en points) |
11-49 salariés | 75.4 | 83.1 | + 7.7 |
50-299 salariés | 49 | 55.8 | + 6.8 |
300 salariés et plus | 26.8 | 21.8 | + 5 |
Ensemble | 53.7 | 67.8 | + 14.1 |
► Lecture : la part des élections professionnelles donnant lieu à une carence total de candidature au 1er et 2e tour augmente d’un cycle électoral à l’autre de 53,7% à 67,8% en moyenne, soit une hausse de plus de 14 points |
Ajoutons que l’absorption du CHSCT dans le CSE a pu amener des élus du personnel expérimentés sur les questions de santé, sécurité et accidents du travail à jeter l’éponge, sans que ceux-ci ne soient remplacés.
Mais cette évolution diffère selon la taille de l’entreprise. Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, le nombre d’élus du personnel chute de 23,4% de 2016 à 2020, contre « seulement » 4% dans celles de 200 à 299 salariés.
Ce n’est pas une surprise : la fusion des ex-CE, CHSCT et DP dans le CSE réduit mécaniquement le nombre de sièges à pourvoir, et c’est d’autant plus vrai dans les entreprises importantes, dont on sait qu’elles ont « centralisé » leur représentation du personnel. L’étude de la Dares le confirme : « La part d’élections couvrant deux établissements augmente de près de 6 points et la part de celles couvrant au moins 3 établissements de plus de 5 points. Les IRP sont donc mises en place sur des périmètres un peu plus larges qu’auparavant ».
Mais revenons à l’évolution du nombre d’élus. Dans les sociétés employant entre 50 et 199 salariés, la tendance est positive : le nombre d’élus y progresse de 15,2%. Cette hausse se retrouve aussi dans la tranche d’effectifs du CSE (11-49 salariés) doté seulement des prérogatives des anciens délégués du personnel : le nombre d’élus atteint +17,1%.
Dernière évolution notable pointée par l’étude du ministère du travail : la part grandissante des élections nécessitant l’organisation d’un deuxième tour, quel que soit l’effectif de l’entreprise (voir notre tableau). Cette proportion passe de 66,4% à 74% des élections, soit une hausse de + 7,6 points. Comment expliquer cette évolution qui n’épargne pas les entreprises importantes ? Là encore, l’hypothèse avancée par la Dares rejoint un constat largement partagé : « Les organisations syndicales rencontreraient des difficultés à trouver des salariés prêts à endosser les nouveaux mandats, dans un contexte où l’engagement dans des activités dans des activités syndicales et globalement la participation des salariés aux élections professionnelles sont en déclin entre les deux derniers cycles électoraux ».
Évolution de la part de seconds tours dans les élections
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Taille d’entreprise |
Proportion des seconds tours dans le cycle 2013-2016 (en %) |
Proportion des seconds tours dans le cycle 2017-2020 (en %) | Évolution (en points) |
11-49 salariés | 83.2 | 87.2 | + 4 |
50-299 salariés | 66.5 | 70.7 | + 4.2 |
300 salariés et plus | 44.2 | 47.3 | + 3.1 |
Ensemble | 66.4 | 74 | + 7.6 |
► Lecture : au cours du cycle 2017-2020 des élections professionnelles aboutissant à au moins un élu, la part des élections de second tour atteint en moyenne 74%, soit une hausse de plus de 7 points par rapport au cycle précédent |
Pour conclure, glissons ici trois observations.
Un. D’abord, ces chiffres enfin tangibles sur l’impact des ordonnances montrent que les inquiétudes exprimées tant par les élus, les organisations syndicales, les chercheurs et experts des IRP, au sujet d’une centralisation du dialogue social et d’une baisse du nombre d’élus du personnel provoquées par l’instauration du CSE, n’étaient donc pas infondées, même si le constat doit être nuancé au vu de la progression du nombre d’élus dans les petites entreprises. Depuis l’instauration du CSE, de multiples rapports, dont ceux du défunt comité d’évaluation des ordonnances, avaient déjà pointé la réalité d’une centralisation du dialogue social et des difficultés d’exercice du mandat éprouvées par les élus du personnel dans les entreprises.
Deux. L’étude de la Dares, en évoquant l’effet dissuasif du CSE sur les vocations à postuler à un mandat, démontre à nouveau le besoin d’une meilleure reconnaissance du travail des élus du personnel, et de leur valorisation afin que cet engagement ne nuise pas à leur parcours professionnel.
Trois. Finissons par un soupçon d’ironie. Si l’objectif des ordonnances de 2017 était, pour reprendre le titre du récent rapport parlementaire visant un relèvement des seuils sociaux, « de redonner des heures aux Français », autrement dit d’augmenter le nombre d’heures travaillées au détriment de l’exercice d’un mandat de représentant du personnel, nul doute que la disparition de 18 000 mandats d’élus du personnel y a participé…
(*) Cette stabilité cache toutefois des disparités selon la taille de l’entreprise. Par exemple, nous explique-t-on à la Dares, pour les petites entreprises de plus de 50 salariés qui ne comportaient jusqu’alors que des délégués du personnel, l’organisation d’une élection a pu créer un CSE et entraîner davantage d’élus que précédemment (ex : dans la tranche 100 à 124 salariés, 2 DP devaient être élus, contre 6 pour le CSE). Notons toutefois qu’une délégation du personnel complète avant 2017 comportait pour cette tranche d’effectif autant d’élus que dans le CSE avec la DUP, la délégation unique du personnel (6 titulaires), cette DUP représentant déjà une diminution de moitié du nombre d’élus dans des instances séparées (12 élus dont 5 CE, 4 DP et 3 CHSCT). Par ailleurs, les entreprises aux effectifs plus importants qui se sont alignées sur le décret fixant le nombre minimal d’élus dans le CSE ont donné à pourvoir moins de mandats qu’auparavant, lorsque les instances étaient séparées (voir notre tableau de 2017).