A quelles conditions l’engagement d’élu ou de délégué syndical peut-il émerger ? Faut-il avoir une vocation pour se lancer ? Quelles sont les conséquences de l’engagement et les difficultés rencontrées ? Autant de questions auxquelles a tenté de répondre Camille Dupuy, sociologue du travail lors d’un atelier du réseau inter-CSE Cezam, organisé lundi 22 mars.
A défaut de pouvoir participer à des salons, tous annulés pour cause d’épidémie, les élus de CSE ont participé en nombre au premier atelier de l’Observatoire Cezam Auvergne-Rhône-Alpes 2021, l’Observatoire proposant deux journées de visioconférences dédiées aux élus et délégués syndicaux et à leurs activités. La sociologue du travail Camille Dupuy, maître de conférences à l’université de Rouen, a ainsi pu dévoiler les résultats de ses dix ans d’enquête sur l’engagement des élus, leurs motivations, leurs difficultés.
11%. C’est le faible taux de syndicalisation observé en France, rappelle en introduction Camille Dupuy. Autre constante : 78 % des entreprises de plus de 11 salariés disposent d’au moins un délégué syndical. Ces données de cadrage rappelées, il apparaît que quatre variables aimantent ou freinent l’engagement. Tout d’abord, la taille de l’entreprise : travailler dans une grande structure favorise l’engagement des salariés, la diversité syndicale et un nombre d’élus plus important. A contrario, les plus petites entreprises n’ont pas les faveurs de l’engagement, comme le montre la participation aux élections TPE (lire notre article).
Deuxième facteur intervenant dans l’engagement des élus ou délégués syndicaux : la formalisation des relations de travail qui passe par la reconnaissance d’intérêts divergents entre salariés et direction.
Troisième élément, les caractéristiques de l’emploi. Si les jeunes affichent un bon taux de sympathie envers les syndicats, ils figurent parmi les salariés les moins engagés (3,6 % des moins de 30 ans, lire notre article). Un phénomène lié à leur précarité selon Camille Dupuy. Enfin, dernière variable : la situation individuelle. Deux éléments déclenchent le passage à l’acte : les facteurs relationnels (comme connaître déjà un élu qui « met le pied à l’étrier » d’un salarié) et la conflictualité de l’entreprise, certains salariés franchissant le pas de s’engager à la suite d’un conflit avec la direction.
Au menu des contraintes et obstacles, la vie d’élu fait le plein. Camille Dupuy pointe en premier lieu le cas des « entreprises multiniveaux ». Une centralisation des décisions (souvent en région parisienne) crée de la démotivation et un sentiment d’abandon chez les élus de CSE et les délégués syndicaux de province. Viennent ensuite les inégalités de traitement, lorsqu’au sein de la même entreprise cohabitent différents statuts, ou que le personnel ne travaille pas pour le même employeur : fonctionnaires et contractuels dans la fonction publique, ou salariés permanents et intérimaires dans le secteur privé. Ce personnel à deux vitesses complique la mobilisation des travailleurs.
« Et puis, il y a l’éternelle question des moyens », se désole Camille Dupuy, « tant en compétences et formations qu’en termes humains ». Seulement un tiers des élus bénéficie d’une formation en rapport avec le mandat. Selon les enquêtes de la sociologue, l’activité juridique « gigantesque » en France met en souffrance les élus qui se sentent dépassés par des évolutions permanentes. La carence de temps et de nombre d’élus s’est accrue par le passage au CSE et crée aussi une professionnalisation, les élus ne pouvant parfois plus exercer de fonctions opérationnelles en plus de leur mandat. Les choses se corsent pour les femmes, qui s’évertuent à mener de front une carrière professionnelle, une vie familiale et une vie syndicale (► écoutez notre podcast « Quatre femmes racontent leur syndicalisme« ).
La discrimination freine également les carrières des élus. Selon Camille Dupuy, « ils s’en rendent souvent compte au cours de route, et cela crée une sortie précoce de mandat parce qu’ils n’ont pas eu d’augmentation pendant quatre ans ». S’y ajoute le manque de valorisation du travail des élus par l’employeur. Un coordinateur syndical peut animer une équipe d’une vingtaine de délégués, sans que ses compétences de cadre ne soient traduites par un véritable statut.
« Le CSE, ce n’est pas que des tickets de cinéma gratuits ! », plaisante Camille Dupuy. Mais la réalité n’est pas éloignée de cette boutade, beaucoup de salariés ne connaissant pas les activités de leurs élus et leur apport concret. Selon la sociologue, il faut donc démonter les idées reçues sur le syndicalisme. C’est pourquoi elle encourage les élus à témoigner de leur engagement dans les lycées autour de chez eux. Elle note également « l’effet cumulatif des engagements », à savoir la facilité à continuer d’exercer des mandats quand on en a l’habitude.
Par ailleurs, les vocations naissent d’autant en présence d’une transmission familiale, lorsque les parents, oncles ou tantes sont eux-mêmes élus de CSE ou délégués syndicaux. Enfin, la sociologue relève l’importance du compagnonnage, c’est-à-dire la capacité des élus en fonction d’accompagner les nouveaux dans leur mandat. « De nombreux élus rencontrés m’ont dit qu’ils rassuraient les nouveaux en leur conseillant de ne pas intervenir tout de suite pendant les réunions, mais de prendre le temps d’observer les élus plus aguerris ».
Source : Actuel-CE