Pour résoudre un problème constitutionnel, le gouvernement veut revoir deux articles du code du travail sur les élections professionnelles. Objectif : laisser ouvert le droit de vote à tous les salariés mais priver les cadres ayant une délégation de l’employeur de la possibilité d’être élus au CSE.

Le projet de loi sur le marché du travail présenté hier en conseil des ministres traite essentiellement de l’assurance chômage (lire notre article dans cette même édition). Mais il comprend un article 3 portant sur les élections professionnelles. Rappelons que cette modification du code du travail est rendue nécessaire par une censure du Conseil constitutionnel. Saisi par la CFE-CGC de Carrefour, le juge constitutionnel a estimé que la jurisprudence ne pouvait pas écarter du droit de vote aux élections certains électeurs, même ceux dotés d’une délégation ou d’un pouvoir de représentation de l’employeur, au nom du principe de participation de tous les travailleurs prévu par la Constitution. Le Conseil a donc demandé au gouvernement de revoir le code du travail en lui donnant jusqu’au 31 octobre 2022 pour réaliser ce changement. Au 1er novembre, sans modification législative, il n’y aurait donc plus de base légale à la définition du corps électoral.

Les deux points en question

Une première mouture de la réécriture envisagée, dans l’avant-projet de loi, a fait l’objet de critiques de la part de la CFE-CGC (lire notre article). Depuis, le texte a évolué. Il sépare nettement la question du droit de vote aux élections du droit de participer aux élections professionnelles pour être élu. 

La nouvelle version de l’article L. 2413-18 du code du travail est…identique à celle existante, à l’exception de l’ajout du mot « ensemble ». Le texte du projet de loi prévoit que sont électeurs « l’ensemble des salariés âgés de 16 ans révolus, travaillant depuis 3 mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques ». Avec l’ajout du mot « ensemble », tous les salariés sont donc visés et ceux qui représentent éventuellement l’employeur ne peuvent donc pas être privés de leur droit de vote. « Cela permet de mieux régler le problème que l’ancienne version envisagée », réagit Gilles Lecuelle, de la CFE-CGC.

En revanche, l’article L. 2413-19, qui traite de l’éligibilité, apporte cette nouvelle restriction, indiquée ici en gras : « Sont éligibles les électeurs âgés de 18 ans révolus, et travaillant dans l’entreprise depuis 1 an au moins, à l’exception des conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l’employeur, ainsi que des salariés qui disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise ou qui le représentent effectivement devant le comité social et économique ».

Au nom de la CGT, Patrick Verala, en charge des élus du personnel, juge que ces changements paraissent cohérents, dans la mesure où « ils garantissent à tous les salariés le droit de vote tout en restreignant l’égibilité au CSE des salariés qui représentent l’employeur ».

La jurisprudence

Si le projet de loi est adopté en octobre au Parlement, ces modifications s’appliqueraient donc à compter du 1er novembre prochain. Le sens de ces changements est donc d’amener la Cour de cassation à ne plus écarter du corps électoral et donc du droit de vote certains salariés, tout en maintenant la jurisprudence lui permettant d’écarter l’élection au CSE de cadres dirigeants.

Jusqu’à présent, la Cour de cassation jugeait de manière constante, comme dans la décision Carrefour, que devaient être exclus du corps électoral les salariés qui soit disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise, soit représentent effectivement ce dernier devant les institutions représentatives du personnel.

Pour le Conseil d’Etat, le projet résout le problème constitutionnel

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’Etat approuve la nouvelle version du projet de loi, visiblement modifié par le gouvernement à la suite des critiques de la CFE-CGC et des conseils des magistrats administratifs. « La modification à la marge de l’article L. 2314-18, rapprochée de l’article L. 2314-19 dans sa rédaction elle-même modifiée, est de nature à lever toute difficulté d’ordre constitutionnel s’agissant de la définition du corps électoral, et à assurer le respect de l’autorité de chose jugée qui s’attache à la décision n° 2021-947 QPC (Ndlr  : la censure du Conseil constitutionnel dans l’affaire Carrefour) », écrit le Conseil d’Etat.

La restriction opérée sur l’éligibilité de certains salariés ne pose pas de problème au conseil « compte tenu de l’incidence que les attributions exercées ou les fonctions occupées (Ndlr : par les cadres ayant une délégation de l’employeur ou une fonction de représentation devant le CSE) seraient, par elles-mêmes, de nature à avoir sur le bon fonctionnement des comités sociaux et économiques ». 

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