Les syndicats doivent pouvoir diffuser librement des publications et tracts de nature syndicale aux travailleurs de l’entreprise, dans l’enceinte de celle-ci, aux heures d’entrée et de sortie du travail (article L.2142-4 du code du travail). Mais, à quoi correspondent exactement les heures d’entrée et de sortie du travail ? Comment et à quel endroit ces tracts et publications peuvent-ils être mis à disposition des salariés ? Quelles informations peuvent-ils contenir ? Ce sont les questions posées à la Cour de cassation dans cet arrêt.
Un syndicat s’estimant victime de moyens de pression discriminatoires de la part d’un employeur, en raison des restrictions posées par ce dernier pour la diffusion de tracts et publications syndicaux, demande réparation. Les juges ont fait droit à cette demande et reconnu l’existence d’une discrimination. L’employeur n’est pas d’accord. Il porte donc l’affaire devant la Cour de cassation, mais n’obtient pas gain de cause.
Dans cette affaire, un délégué syndical a distribué des tracts syndicaux à 12h15 au niveau du portique d’accès du bâtiment. L’employeur, estimant que cet horaire ne correspondait pas aux horaires d’entrée et de sortie mais à la pause déjeuner, lui a demandé de procéder à cette distribution hors de l’entreprise.
Le syndicat, n’étant pas d’accord, saisit la justice. Il estime que les heures d’entrée et de sortie dans la société sont celles mentionnées dans l’accord d’entreprise sur l’organisation du temps de travail. Or, cet accord prévoit une plage d’horaires variables allant de 11h30 à 14h.
La cour d’appel donne raison au syndicat. L’heure à laquelle le syndicat a procédé à ladistribution (12h15) se situe bien dans la plage d’horaires variables (entre 11h30 et 14h) définie par l’accord d’entreprise applicable, durant laquelle chaque salarié peut choisir ses horaires d’arrivée et de départ. Elle a donc considéré que le fait que le syndicat ait été empêché de procéder à cette distribution était discriminatoire.
La Cour de cassation valide cette analyse.
► La jurisprudence de la Cour de cassation considère que la possibilité de diffuser des tracts dans l’enceinte de l’entreprise aux heures d’entrée et de sortie du travail ne permet pas, sauf accord plus favorable, d’y procéder pendant le temps de repas dans la cafétéria de l’entreprise (arrêt du 20 octobre 1988). Cependant il n’était alors pas question d’horaires variables et la distribution avait été effectuée dans la cafétéria, ce qui n’est pas le cas dans l’affaire aujourd’hui commentée. En outre, l’administration considère que lorsque l’ensemble de l’entreprise est soumis aux horaires variables, la diffusion de tracts peut être effectuée durant les plages mobiles (réponse mininstérielle n° 5032). Or, la plage définie par l’accord dans cet arrêt est bien une plage mobile. La Cour de cassation applique ici les principes définis par l’administration en la matière. La plage horaire litigieuse doit donc être considérée comme une plage d’horaires variables mobile, et non une pause déjeuner.
Outre le fait que l’employeur ait empêché le syndicat de procéder à la distribution de ses tracts, d’autres éléments ont été retenus par les juges pour caractériser l’existence d’une discrimination. Le syndicat a également mis à disposition des salariés des pochettes de tracts au niveau des panneaux d’affichage syndicaux présents dans l’entreprise. Mais l’employeur, jugeant que le syndicat ne respectait pas les règles de diffusion des tracts, lui a demandé de les retirer des panneaux d’affichage.
Le syndicat estime qu’il s’agit là d’un moyen de pression discriminatoire et demande réparation.
La cour d’appel donne raison au syndicat. Elle constate que l’employeur ne démontre pas avoir adressé aux autres syndicats de l’entreprise la même demande de retirer des panneaux d’affichage les tracts et publications syndicaux mis à disposition des salariés. La Cour de cassation est d’accord. Il s’agit bien d’une discrimination à l’égard du syndicat.
L’employeur reproche aussi au syndicat d’avoir diffusé, dans ses tracts, des informations confidentielles. Mais encore une fois, le syndicat n’est pas d’accord et considère que ces allégations relèvent d’une discrimination à son encontre, ce que reconnaît la cour d’appel.
La cour d’appel constate à cet égard que les tracts distribués (le 19 octobre 2017) contenaient des informations extraites du rapport d’un cabinet comptable relatives à une prime qui avaient déjà été diffusées en 2016 par un autre syndicat au moyen d’une synthèse du CSE (antérieurement à la remise du rapport du cabinet comptable), ainsi que par une information du service RH. L’employeur ne pouvait donc pas légitimement reprocher au syndicat d’avoir diffusé des informations confidentielles dans son tract.
Ce reproche relevait donc lui aussi, selon la cour d’appel, d’une discrimination à l’encontre du syndicat.
La Cour de cassation valide également cette interprétation et estime que la cour d’appel a pu déduire de l’ensemble de ses constatations l’existence d’une discrimination à l’encontre du syndicat.