Les premières publications par les grandes entreprises de leur résultat à l’index sur l’égalité F/H se font parfois avant la consultation du CSE sur le sujet, quand il y en a une. La question de l’égalité professionnelle va-t-elle devenir un sujet d’abord traité entre les DRH et l’administration ?
Sommées de publier au plus tard le 1er mars sur leur site internet le chiffre global qu’elles obtiennent à l’index égalité femmes-hommes mis en place par le gouvernement en vue de résorber les inégalités salariales entre les deux sexes, les entreprises de 1 000 salariés et plus n’ont pas toutes, loin s’en faut, consulté préalablement leurs instances représentatives du personnel avant de publier cette donnée (*).
Il faut dire que les textes réglementaires n’imposent pas véritablement une consultation préalable du CSE : les éléments doivent bien figurer dans la base de données économiques et sociales (BDES) mais si l’entreprise retient les catégories socio-professionnelles classiques (ouvriers, employés, etc.) elle n’a pas à consulter et à recueillir l’avis du CSE sur le premier indicateur relatif aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes (lire notre article). Bref, tout se passerait comme si ces questions ne devaient relever que d’une forme d’ingénierie RH au sujet de laquelle les représentants du personnel n’ont pas leur mot à dire, l’Etat comptant surtout sur la menace de sanctions pour faire bouger les entreprises (lire notre encadré ci-dessous). Il n’y a pas eu de consultation du CSE. Nous aurons fin mars une réunion de la commission de suivi de l’accord égalité

Chez Orange, qui affiche pourtant une note globale de 94 sur 100, ni les instances représentatives ni les délégués syndicaux n’avaient eu jusqu’à hier d’informations sur cet index aux résultats flatteurs (**). « Il n’y a pas eu de consultation du CSE. La direction va convoquer pour la fin mars une commission de suivi de l’accord égalité F/H, nous pourrons alors échanger sur le détail de ces indicateurs », nous rapporte Elisa Mistral, DSC CFDT d’Orange. La déléguée syndicale se dit donc pour l’heure dans l’incapacité de dire si la note globale reflète la réalité de la situation dans l’entreprise. « Ce chiffre semble illustrer les efforts réels de l’entreprise, qui a signé un bon accord sur l’égalité F/H avec tous les syndicats, mais nous pensons qu’il y a sûrement des améliorations à apporter sur le facteur relatif aux promotions des femmes », ajoute Elisa Mistral. Cette dernière regrette d’autant plus cette absence d’informations et de discussions préalables que l’entreprise a entamé les négociations annuelles obligatoires, qui comprennent la négociation d’une enveloppe de réduction des écarts F/H. « Il va falloir aussi nous pencher sur les situations sans doute très différentes au sein des nombreux établissements de l’entreprise », dit encore la DSC CFDT.
Chez ArcelorMittal, dont les différentes entités obtiendraient de 73 à 89 points, Philippe Verbeke, pour la CGT, se montre méfiant à l’égard de ce nouvel outil : « A la fédération métallurgie de la CGT, nous nous appuyons sur la méthode de François Clerc pour dénoncer les discriminations, en partant de panels de personnes entrées au même moment de l’entreprise et ayant les mêmes qualifications, afin de comparer leurs évolutions et leurs situations professionnelles. Cet indicateur, ce n’est pas du tout la même chose ».Chez nous, la part des femmes cadres progresse grâce à l’accord égalité professionnelle

Fort de son -excusez du peu- 99 sur 100, la CNP Assurances a publié dès le 7 février un communiqué sur son résultat à l’index, communiqué dans lequel la DRH juge que cette bonne note « récompense la politique volontariste de CNP Assurances en matière de lutte contre les inégalités salariales entre les femmes et les hommes ». Le sujet fait consensus dans cette entreprise de 2 800 salariés dont les ressources humaines et les relations sociales sont dirigées par des femmes. « Par exemple, nous avons convenu par accord de faire progresser la part des femmes qui sont cadres, car cette part est de 52% alors que les femmes représentent 66% du personnel. Et en 2016, la part des femmes cadres a progressé de 3,4% », nous explique André Rospars, délégué syndical UNSA. Pour autant, les syndicats disent n’avoir pas encore eu les éléments complets composant l’indicateur.
Chez STMicroélectronics, en revanche, le sujet a bien fait l’objet d’une réunion du CSE. Eric Potard, le DSC CFDT, explique que le score obtenu par l’entreprise est « correct » (89 points) car, dit-il, « nous avons un accord égalité qui porte ses fruits », le seul indicateur problématique étant le dernier, celui portant sur la présence des femmes parmi les dix plus hautes rémunérations, un indicateur qui est aussi le talon d’achille de Sanofi France qui obtient zéro point sur ce paramètre (une seule femme figure parmi les 10 plus hauts salaires) alors que l’entreprise décroche au global 87 points. Reste que chez STMicroélectronics, les indicateurs n’ont pas été discutés, l’entreprise appliquant le dispositif du gouvernement. « Ne nous faisons pas d’illusion, c’est la menace des sanctions qui fera bouger les entreprises qui sont en retard », estime d’ailleurs Eric Potard.Le résultat est bon, mais l’index montre l’existence d’un écart de rémunération entre les femmes et les hommes

Siemens affiche pour sa part un résultat de 96 points, un index communiqué le 25 février en CCE. Un bon résultat, accueilli comme tel par Lydia Bernet. Mais la DSC CFDT constate tout de même que les résultats de l’index au premier indicateur, celui sur les différences de rémunération entre hommes et femmes, « montrent bel et bien l’existence d’un écart, quoi qu’en disait la direction, entre les hommes et les femmes », le dernier indicateur montrant également la faible présence (2 sur 10) des femmes dans les plus hautes rémunérations de l’entreprise.
Chez Siemens, Aurore Martin, DSC CFDT, est vent debout contre la méthode choisie par l’entreprise pour classifier les postes afin de comparer les rémunérations des femmes et celles des hommes. « Comme nous n’avons pas de classification de branche, l’entreprise a adopté une grille qui va de A à I inspirée des méthodes du cabinet Hay qui ne sont pas exemptes de biais. Pour nous, ça ne reflète pas du tout la réalité de la situation », se désole Aurore Martin qui souligne la tradition masculine forte de ce secteur d’activité, les industries électriques et gazières.
La déléguée syndicale ajoute que le résultat de l’index (79 points sur 200) n’a été communiqué qu’en fin de réunion du CCE, le 27 février, les élus donnant un avis défavorable à cette consultation. « Nous allons demander la remise à plat de cet outil dans un tract pour la journée du 8 mars », annonce déjà Aurore Martin. Une note au-dessus de 75 ne doit pas être un blanc-seing

Il faut le rappeler en conclusion : le choix de l’Exécutif a été d’opter pour un outil technique à la main des entreprises, un outil qui n’a pas réellement été négocié par les partenaires sociaux. Autant dire qu’on ignore la capacité de cet outil à traduire les situations de discriminations faites aux femmes, et que le débat va se poursuivre sur ce terrain. Se pose en outre la question de l’appropriation de cet outil par les délégués syndicaux et les représentants du personnel, alors même que la question de l’égalité professionnelle est un champ important de négociation des partenaires sociaux, un enjeu lourd qui impose de traiter des préjugés en faisant largement partager dans l’entreprise l’exigence d’équité (notre article). Un mauvais chiffre ne pourra qu’inciter les directions à opter pour la politique volontariste souvent prônée par les élus du personnel. Mais un chiffre correct, qui pourrait parfois masquer la persistance de problèmes réels du fait des seuils de tolérance de l’index (voir l’analyse de la CGT et le regard critique d’autres OS et élus du personnel mais aussi notre note sur Orange), sera-t-il de nature à vraiment aider les revendications des élus et délégués syndicaux ? Hier soir, la CFDT indiquait, dans un communiqué, qu’elle ne considérait pas qu’une note « au-dessus de 75 points soit un gage d’exemplarité absolue en matière d’égalité F/H ni un blanc-seing pour ne rien faire sur le sujet », le syndicat envisageant déjà de demander le cas échéant, à l’issue d’un premier bilan, de « faire « évoluer ces mécanismes de pondération ». A suivre…
(*) Les premiers chiffres annoncés paraissent se situer la plupart au-dessus de la moyenne fixée par le gouvernement pour éviter toute sanction : 98 pour Sanofi France, 94 pour Orange, 89 points pour PSA (notre article), 80 pour EDF, etc.
(**) Sur l’indicateur n°1 (écarts salaires entre hommes et femmes), Orange fait état d’un écart, après pondération de 0,21%, l’entreprise obtenant 39 des 40 points sur cet indicateur. Mais l’écart réel constaté entre les deux sexes s’élève néanmoins à 6,9% en moyenne en défaveur des femmes, la différence la plus sensible concernant les femmes ingénieurs et cadres âgées de 40 à 49 ans (-6,3%). Sur l’indicateur 5, Orange obtient 5 des 10 points grâce à la présence de 3 femmes sur les 10 plus hautes rémunérations.
Index F/H : rappel de l’essentiel |
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L’index de l’égalité F/H, mis en oeuvre par le décret du 8 janvier 2019, compte 100 points. Il décompose en plusieurs parties mesurant :l’écart de rémunération entre F/H (40 points);l’écart de taux d’augmentation individuelles entre F/H (20 points au dessus de 250 salariés, 35 points en deçà);l’écart de taux de promotions entre F/H (15 points) [ce critère est absent pour les entreprises de moins de 250 salariés];le pourcentage de salariées augmentées dans l’année de retour de leur congé maternité (15 points);le nombre de salariés du sexe sous-représenté dans les 10 plus hautes rémunérations (10 points).Les entreprises devront publier le résultat des points obtenus à cet index F/H au plus tard : le 1er mars 2019 pour les entreprises de plus de 1 000 salariés (la direction générale du travail entend faire un point global de la situation dès le 5 mars 2019);le 1er septembre 2019 pour les entreprises de 250 à 1 000 salariés;le 1er mars 2020 pour les entreprises de 50 à 250 salariés.Les entreprises qui auront, au bout de 3 ans, un résultat inférieur à 75 points sur 100 pourront se voir infliger une pénalité de 1% de la masse salariale à partir du :1er mars 2022 pour les entreprises de plus de 250 salariés;1er mars 2023 pour les entreprises de plus de 50 salariés.Pour échapper à une telle pénalité, l’entreprise pourra soit négocier des mesures avec les partenaires sociaux, soit prendre unilatéralement des mesures de correction, après consultation du CSE.► Retrouvez tous nos articles dans notre dossier « Index de l’égalité F/H » |
Source – Actuel CE