Le crédit d’heures de délégation a été remis à plat lors de la réforme de la représentation du personnel en 2017. Désormais, l’élu du personnel peut utiliser son crédit d’heures avec plus de souplesse. Les textes fixent une base légale d’heures mais il est possible de prévoir par accord un crédit d’heures plus adapté. Le point avec Claire Baillet, juriste chez Alinea, lors d’une conférence au salonsCE de Lyon le 18 février dernier.
Sujet déterminant pour l’exercice du mandat, le crédit d’heures permet à l’élu de remplir ses missions auprès des salariés. Les heures de délégation sont considérés comme du temps de travail effectif. C’est donc du temps à part pendant lequel l’élu du personnel peut se consacrer à son mandat, du temps protégé de son activité professionnelle pure. « Si le crédit d’heures n’existait pas, il n’y aurait plus de candidats à l’élection du CSE ! », affirme Claire Baillet, juriste chez Alinea, en introduction de sa conférence au salonsCE de Lyon, tout en rappelant que cela n’empêche pas le bénévolat, de nombreux élus étant contraints de prendre sur leur temps personnel pour travailler à leur mandat…
Quoiqu’il en soit, depuis les ordonnances Macron et le décret d’application de 2017, les heures de délégation seront utilisées de manière plus souple qu’auparavant. Elles peuvent notamment être mutualisées entre les élus ou reportées d’un mois sur l’autre. Leur volume est fixé par les textes mais il est aussi possible d’y déroger par accord afin de s’adapter encore plus à l’entreprise. 
Volume d’heures : la nouvelle base légale
Deux constantes demeurent entre les anciennes instances et le nouveau CSE : d’une part, le volume d’heures dépend toujours de l’effectif de l’entreprise (voir notre infographie), et d’autre part le volume d’heures des délégués syndicaux et représentants de section syndicale est toujours calculé à part. Par exemple, avant la réforme du CSE, les délégués du personnel titulaires bénéficiaient de 10 heures par mois, si l’entreprise employait jusqu’à 49 salariés. Un élu du comité d’entreprise disposait quant à lui de 20 heures par mois.
Depuis le passage au CSE, le volume d’heures a été remis à plat. Tout d’abord, il ne dépend plus du type de mandat (DP, CE ou CHSCT). Du fait de la fusion des instances de représentation du personnel en une seule, le CSE, le volume d’heures est donc désormais déterminé en multipliant le nombre d’élus titulaires par le nombre d’heures de délégation. Voici quelques exemples de ce calcul :
 
Effectif Nombre de titulaires Heures de délégation mensuelles Total d’heures
11-24 1 10 10
100-124 6 21 126
500-599 13 24 312
1750-1999 21 26 546
5000-5749 29 29 841

 

Négocier un accord peut permettre de compléter le volume d’heures légal 

 

« Que se passe-t-il si l’effectif de l’entreprise varie pendant mon mandat ? », demande un élu participant à la conférence du salonsCE de Lyon. Réponse de Claire Baillet : « Le volume des heures ne change pas du seul fait d’une variation d’effectif, il n’y a pas d’ajustement automatique. Une variation d’effectif était déjà possible quand les mandats duraient 2 ans. Maintenant que ceux des élus CSE dure 4 ans, un changement d’effectif est encore plus probable. Il faut donc négocier un accord pour revoir le volume d’heures. Cela permettra de compléter le volume légal ».

Adapter les heures de délégation en négociant un accord avec l’employeur

Si les élus veulent adapter le crédit d’heures à leur entreprise, ils peuvent envisager de le négocier dans le PAP, le protocole d’accord préélectoral. « Le PAP peut modifier le nombre de sièges et le volume d’heures de délégation. Attention, ceci est valable à la hausse ou à la baisse ! Certains CSE peuvent préférer avoir plus d’élus avec un peu moins d’heures ou l’inverse », indique Claire Baillet en donnant l’exemple de Weight Watchers, où des élues à temps partiel préféraient disposer de 220 heures négociées dans le PAP, en présence de 10 titulaires ou pas. La juriste précise que « peu de PAP ont amélioré les crédits d’heures, la priorité des syndicats étant de retrouver des places d’élus, et non de négocier leurs heures de délégation. Avec le CSE, les élus ont perdu entre 150 000 et 200 000 élus au niveau national, on comprend donc que les syndicats mettent le paquet sur les sièges ».

Maintenant que les élections au CSE sont terminées, soit les élus attendront la prochaine mandature pour renégocier le PAP, soit ils négocieront avec l’employeur un accord de droit commun hors PAP sur le CSE ou une nouvelle mouture du règlement intérieur du CSE. En pratique, Claire Baillet a constaté que ces accords modifient peu les volumes d’heures mais accordent des moyens en temps, en octroyant par exemple des heures additionnelles au secrétaire ou au trésorier, ou en prévoyant que les réunions préparatoires au CSE sont considérées comme du temps de travail effectif (un moyen d’impliquer les élus suppléants).

Xerox, Seita : deux exemples d’accords

Chez Xerox, spécialiste américain de l’impression numérique et de la gestion de documents qui emploie en France entre 250 et 499 salariés, l’accord prévoit une amélioration du crédit d’heures des élus titulaires avec une nette augmentation du nombre de sièges. Le secrétaire et le trésorier du CSE et leur adjoint disposent d’un « pot commun » de 14 heures par mois. En plus du crédit d’heures des titulaires, les heures de la réunion préparatoire d’une journée par réunion du CSE sont prises en charge, de même que le temps de rédaction des procès-verbaux. Un autre « pot commun » de 600 à 750 heures en fonction de la taille de l’établissement peuvent être utilisés par tous les élus, titulaires ou suppléants. Les membres des 3 commissions santé sécurité conditions de travail (CSSCT) se voient créditées de 6 à 8 heures par mois chacun. Un « pot commun » de 120 ou 160 heures par an bénéficie de plus à chaque CSSCT. Le temps de rédaction des procès-verbaux des commissions est également pris en charge. « Évidemment, on n’arrive pas à négocier cela partout, il y a une forte culture du dialogue social chez Xerox », reconnaît Claire Baillet.

 Il faut une volonté commune de négocier pour ne pas rester sur un nombre d’heures légal bas

 

Les élus de la Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (SEITA) ont eux aussi négocié que les réunions préparatoires de 5 séances du CSE par an constituent du temps de travail effectif. Les secrétaire, secrétaire adjoint et trésorier du CSE central bénéficient d’une demi-journée de préparation supplémentaire (5 jours pleins pour le seul secrétaire). Autre négociation qui a abouti : la participation des suppléants à la première réunion du CSE de la mandature. Toutes les réunions des CSSCT donnent lieu à une demi-journée de préparation considérée comme du temps du travail effectif. Le secrétaire de la CSSCT centrale dispose quant à lui de 2 journées supplémentaires par rapport à son crédit d’heures de base, et les autres élus de 54 journées.

« C’est donc possible !, exulte Claire Baillet. Mais il faut une volonté commune de négocier avec les directions qui ont vu dans le CSE l’opportunité de réduire les heures et de concentrer les mandats. Et s’il n’existe pas d’accord, on reste sur un base légale basse ».

Même en l’absence de tout accord, les heures peuvent être mutualisées et reportées

La nouveauté majeure du crédit d’heures version CSE consiste dans la possibilité de mutualiser les heures entre élus du personnel, titulaires et/ou suppléants. De plus, les heures de délégation ne sont plus strictement mensuelles : elles ne sont plus soit utilisées soit perdues puisqu’il est désormais possible de les reporter sur le mois suivant (dans la limite de 12 mois). Selon Claire Baillet, « c’est la contrepartie accordée pour compenser la baisse du volume d’heures prévu avec la réforme ».

Si aucun accord n’est conclu avec l’employeur, le crédit d’heures peut faire l’objet d’une négociation à tout moment avec les organisations syndicales ou les élus du CSE. En l’absence d’accord, les heures de délégation ont tout de même vocation à être mutualisées entre les élus, dans une certaine limite cependant : chaque élu ne peut disposer de plus d’une fois et demie le crédit d’heures d’un élu titulaire. Claire Baillet rappelle que cette limite s’applique à la fois pour la mutualisation et les reports d’heures de délégation. Attention, les élus titulaires doivent informer l’employeur du nombre d’heures réparties chaque mois, et ce dans un délai de 8 jours avant la date prévue pour l’utilisation des heures. Enfin, si des élus titulaires cèdent leurs heures à d’autres titulaires ou à des suppléants, ils doivent désigner par écrit à l’employeur l’identité des élus qui récupèrent leurs heures dans un délai de 8 jours minimum avant que les heures cédées ne soient utilisées. Le bénéficiaire des heures n’a cependant pas à informer l’employeur de la date où il compte utiliser les heures qu’on lui a cédées.

Par ailleurs, en cas de report des heures sur le mois suivant (dans la limite de 12 mois), le même plafond s’applique  : le report ne doit pas conduire un élu à dépasser de plus d’une fois et demi son crédit d’heures. Pour l’utilisation des heures ainsi reportées, l’élu informe l’employeur dans le même délai de 8 jours avant la date prévue pour l’utilisation des heures.

En conclusion, Claire Baillet rappelle, fort à propos, que les élus doivent disposer de suffisamment de temps à consacrer aux salariés pour les convaincre d’être un jour, à leur tour, candidats aux élections du CSE. C’est donc non seulement l’exercice des missions qui est en jeu avec le crédit d’heures, mais aussi le renouvellement de la population des représentants du personnel.

 

Un élu qui reçoit des heures d’un autre élu peut-il à son tour les  reporter ou les mutualiser ? Pas si simple !

Comme nous l’avons vu, l’élu est désormais assez libre dans la gestion de ses heures de délégation : il peut les reporter ou les mutualiser au profit d’un autre élu. Mais la même question se pose alors par ricochet : celui qui reçoit des heures d’un autre élu peut-il à son tour les reporter et les mutualiser ? En d’autres termes, le droit de report et de mutualisation s’épuise-t-il sur la seule tête du premier élu ou se déplace-t-il autant de fois que nécessaire sur la tête des élus qui se transmettent des heures ? Nous avons posé la question à Ronan Darchen, lui aussi juriste chez Alinea, sur le salonsCE de Lyon : « Les textes ne disent rien, donc à partir du moment où aucun texte ne l’interdit, je ne vois pas ce qui s’y opposerait », analyse-t-il.

Faut-il suivre cet avis ? L’article L. 2315-9 du Code du travail indique que « les membres titulaires de la délégation du personnel peuvent, chaque mois, répartir entre eux et avec les suppléants le  crédit d’heures de délégation dont ils disposent. » Ce texte nous apprend donc que la mutualisation est possible entre deux titulaires mais aussi entre un titulaire et un suppléant. Ensuite, tout dépend de l’interprétation de l’expression « crédit d’heures dont ils disposent ». Ce verbe « disposer » sous-entend-il que le droit de report et de mutualisation est attaché au crédit d’heures d’origine du titulaire ? En attendant qu’une jurisprudence tranche cette question, peut-être mieux vaut-il rester prudent pour l’instant et éviter les reports et mutualisations en cascade…

Source – Actuel CE