L’épidémie de Covid-19 souligne la nécessité de mettre en place une politique de prévention des risques efficace et réaliste dans l’entreprise. Or, le code du travail n’impose pas à l’employeur de consulter le CSE lors de la mise à jour du document unique d’évaluation des risques (DUER). Pourtant, depuis le début de l’épidémie, différentes sources de droit commencent à revenir sur ce principe. Un futur levier pour les CSE ?

Lundi soir, le ministère du Travail a publié le nouveau protocole sanitaire détaillant les mesures à prendre pour éviter la propagation de l’épidémie sur le lieu de travail (lire notre article). Dans ce contexte de définition du risque lié à l’épidémie de Covid-19, l’employeur peut être amené à mettre à jour son document unique d’évaluation des risques (DUER). Ce dernier transcrit le résultat de l’évaluation des risques professionnels sur la santé et la sécurité des salariés. De leur côté,  les élus du CSE (ou la commission santé sécurité et conditions de travail si elle existe) ont notamment pour mission de contribuer à la santé et à la sécurité des salariés. Dans les entreprises dont l’effectif est d’au moins 50 salariés, les élus procèdent à l’analyse des risques professionnels. Ils sont également consultés en cas de modification importante de l’organisation du travail et des conditions de travail. Malgré ces enjeux essentiels pour leur mandat, le code du travail n’impose pas à l’employeur de consulter les élus du CSE lors de la mise à jour du DUER (ni lors de son élaboration). Nous avons demandé à différents experts leur avis sur le sujet. Voici leurs réponses.

Le principe du DUER et sa mise à jour

Tout employeur doit évaluer les risques du travail pour la santé et la sécurité des travailleurs, et en transcrire les résultats dans le document unique. Le DUER présente ainsi les facteurs de risques professionnels constatés dans l’entreprise, les données collectives utiles à l’évaluation des expositions et la proportion des salariés exposés aux risques.

Selon le code du travail (articles R. 4121-2 et suivants), le DUER doit être mis à jour :

  • au moins chaque année,
  • lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail,
  • lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie.

Si le code requiert que le DUER soit mis à disposition des élus, il ne contraint pas l’employeur à les consulter pour réaliser sa mise à jour. Cependant, les vicissitudes liées à l’épidémie de Covid-19 contribuent à faire émerger des éléments dans le sens de la consultation.

De nouveaux éléments plaident en faveur d’une consultation du CSE lors de la mise-à-jour du DUER

En avril 2020, à la suite d’une action des syndicats CGT, CFDT et Sud (lire notre brève), la société Amazon a été traduite en justice et condamnée sous astreinte à associer les élus du CSE à l’évaluation des risques liés au virus (lire notre article) Dans son arrêt du 24 avril, la cour d’appel de Versailles estime « qu’il « appartenait à la société Amazon de consulter le CSE central dans le cadre de l’évaluation des risques comprenant la modification du DUER » On ne saurait être plus clair.

Le même jour, le tribunal judiciaire de Lille a rendu une ordonnance de référé  dans le cadre d’une affaire opposant la CGT à l’enseigne de supermarchés Carrefour, dans laquelle elle juge que « la consultation préalable des instances représentatives du personnel, et notamment du CSE, bien que n’étant pas imposée par les textes s’avère indispensable afin que l’employeur établisse de manière efficace le DUERP et ses mises à jour, compte tenu des compétences particulières du CSE en terme de santé et de sécurité des salariés ». Le tribunal s’est fondé notamment sur une circulaire de la Direction des Relations du Travail (DRT) n°6, du 18 avril 2002 selon laquelle « cette approche de la prévention de la santé et de la sécurité au travail doit être menée en liaison avec les instances représentatives du personnel ».

Enfin, dernier élément, et non des moindres, les questions-réponses émises par le ministère du Travail pendant l’épidémie et relatives au dialogue social. On y lit, dès le début du texte : « Le CSE joue un rôle particulièrement important dans les situations de crises. Il devra ainsi être associé à la démarche d’actualisation des risques et consulté sur la mise à jour du document unique d’évaluation des risques ». Certes, ces « Q-R » ne disposent pas de la force juridique d’une loi, mais de documents à portée normative, dont la dimension fortement incitative constitue pour les employeurs un « droit mou », qui n’en est pas moins du droit.

En revanche, dans le sens inverse, le tribunal judiciaire de Lyon a rendu le 22 juin 2020 une ordonnance de référé dans une affaire Adecco opposant la direction de l’entreprise à l’Union Syndicale Solidaire. Les juges ordonnent à la société de « reprendre son évaluation des risques en intégrant de façon pleine et entière les représentants du personnel élus au CSE à chaque étape de cette évaluation, afin qu’elle s’effectue à partir des situations de travail réelles et selon les principes généraux de prévention des risques ». On le voit, il n’est nullement question ici d’exiger une consultation du CSE lors de la mise à jour du DUER. Au-delà de cette affaire, il faut également tenir compte du fait qu’aucune jurisprudence antérieure à l’épidémie de Covid-19 n’imposait à l’employeur de consulter le CSE lors de la mise à jour du DUER.

Face à ce flou et à la contradiction entre ces sources et les textes du code du travail, nous avons demandé à quelques experts en CSE de nous donner leur avis.

Une consultation du CSE sur le DUER ? « Que les élus s’en saisissent ! »

Valérie Pérot, présidente du cabinet d’expertise Aepact dédié aux CSE, compte bien « faire un levier » de la nouvelle possibilité introduite par la Cour de Versailles et le ministère du Travail. « A la base, dans les textes, le DUER n’est pas du tout un objet de travail en commun entre l’employeur et les élus, ni du temps du CHSCT ni depuis le CSE. Le DUER relève en effet d’une obligation unilatérale de l’employeur. Désormais, avec le Covid, il y a ces évolutions, que les élus s’en saisissent ! Ça ne coûte rien de demander une consultation ! ». L’experte relève également que l’employeur peut être tenté de seulement annexer le protocole sanitaire du gouvernement au DUER au lieu de mettre à jour ce dernier. « La réaction des élus doit alors être de demander une véritable mise à jour du DUER : il faut identifier le risque lié au virus en tant que tel ».

Une brèche oui, mais relative car « tout dépend des faits »

Si des ordonnances de référé penchent bien pour une consultation du CSE sur la mise à jour du DUER, il demeure que ces décisions de justice dépendent des faits qui leur sont soumis. C’est ce que soulève Dora Candido, responsable de mission au sein du cabinet Technologia : « Le droit, c’est avant tout des faits, et ils diffèrent d’une affaire à l’autre. Certaines ordonnances de référé sont contradictoires, il faudrait donc un arrêt de la Cour de cassation pour trancher la question de la consultation du CSE sur la mise à jour du document unique. Donc pour l’instant nous avons certes quelques jurisprudences, mais elles restent limitées à un instant T ». L’experte note également que pendant la crise épidémique et lors du déconfinement, les élus ont souvent été consultés sur des plans de reprise d’activité. « Or, si les élus ont été consultés sur un plan de reprise, il n’apparaît pas nécessaire de les consulter sur le DUER qui en est une retranscription. Cela ferait double emploi ». Enfin, la spécialiste en ergonomie souligne qu’il importe surtout que les élus soient associés à la prévention des risques, la consultation étant finalement une forme d’association, et que dans les deux cas, ce qui compte, c’est que les élus donnent leur avis, même s’il n’est pas formalisé de manière aussi poussée que lors d’une consultation en bonne et due forme.

Les élus peuvent être consultés sur la mise-à-jour du DUER mais pas sur son élaboration, « car ils seraient juges et parties »

Pour Anne Benedetto, chargée d’expertise au cabinet Syndex et formatrice, « si un plan de reprise modifie les conditions de travail, il est alors intéressant que le CSE donne son avis sur la mise-à-jour du document unique. Cela correspond à la logique de co-construction du DUER entre la direction et les élus. En revanche, il ne faudrait pas que le DUER soit joint au Papripact (1) lors de la consultation récurrente sur la politique sociale. Car si les élus participent à la création du DUER, puis doivent donner leur avis dessus, ils deviendraient alors juges et parties ». Anne Benedetto se réjouit cependant que la crise épidémique ait remis le DUER sur le devant de la scène, « alors que j’entends parfois dire qu’il va être réduit à une peau de chagrin ne comprenant que les facteurs de pénibilité ».

Selon ces experts, l’esprit actuel du droit tend donc vers une association des représentants du personnel à la politique de prévention, quelle que soit sa forme, et que cette inclusion des élus peut aussi aller jusqu’à la consultation. Tout dépendra in fine, du climat social dans l’entreprise et de l’entente entre les élus et la direction. En attendant, rappelons que les délais réduits de consultation liés au Covid-19 (lire notre infographie) ne s’appliquaient que jusqu’au 23 août 2020. Les consultations soumises au CSE après cette date relèvent désormais des délais classiques.

  1. Programme Annuel de Prévention des Risques Professionnels et d’Amélioration des Conditions de Travail. Ce document doit être présenté tous les ans aux élus dans le cadre de la consultation sur la politique sociale. Il est élaboré en principe une année avant le DUER.

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