Expert des IRP et formateur des représentants du personnel, Olivier Sévéon, auteur d’un ouvrage récent sur le CSE (*), analyse dans ce point de vue les problématiques et enjeux liés à la mise en place de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) du comité social et économique.

Avec la fusion des instances de représentation du personnel et la création du comité social et économique (CSE), les ordonnances font disparaître le CHSCT conformément aux vœux du Medef. L’élimination de cet outil de prévention des risques professionnels est d’autant plus choquante qu’elle s’accompagne d’une réduction drastique des moyens dont dispose la nouvelle instance pour faire entendre la voix des salariés et défendre leurs intérêts. Notons en outre qu’elle s’inscrit en contradiction avec les promesses électorales du candidat Macron, dont le programme dans le domaine de la santé se résumait en une formule simple : « développer la prévention ».

À l’heure où les politiques productivistes sévissent, avec pour corollaire la montée en puissance des risques psychosociaux (stress, souffrance au travail, burn-out, tentatives de suicides et suicides, etc.), le danger pour le Medef était que la fusion des IRP ne transforme le CSE en « super-CHSCT ».

La commission « santé, sécurité et conditions de travail » (SSCT) a été instituée pour contrer cette menace : elle a été conçue comme un moyen de circonscrire les enjeux de santé au travail à quelques individus et d’éviter que l’intégralité du CSE ne s’en empare.

La formation des élus : un changement de donne tardif

À  l’origine, les ordonnances prévoyaient que seuls les membres de la commission SSCT bénéficieraient d’une formation en santé au travail. Elles affichaient ainsi clairement une volonté de ne pas traiter les prérogatives du CE et du CHSCT sur un pied d’égalité et de fonder le centre de gravité du CSE sur le CE (et non pas le CHSCT).

Cette restriction de formation s’est heurtée aux principes légaux concourant à la protection des salariés. En particulier :

  • Le droit européen  affirme que la santé des travailleurs n’est pas négociable et ne peut être mise en balance avec les objectifs financiers des actionnaires : « L’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations économiques » (préambule de la directive-cadre européenne du 12 juin 1989).
  • La Constitution française reconnaît comme droit fondamental du travailleur sa participation, par l’intermédiaire de ses représentants, à la détermination collective des conditions de travail (point 8 du préambule de la constitution de 1946, confirmé par la Constitution de 1958). Les élus du personnel sont de plus les garants d’un droit à la santé inscrit dans la constitution : « La nation garantit à tous la protection de la santé ».

Sous la menace de non-conformité aux directives européennes et de censure du Conseil constitutionnel, la loi de ratification du 29 mars 2018 a finalement décidé que tous les membres du CSE seront formés (articles R2315-10 et R2315-11 du Code du travail). Ce retournement tardif change radicalement la donne et conduit les syndicats et les élus du personnel à revisiter leurs positions initiales.

Faute de CHSCT, la voie naturelle de repli était la commission SSCT, seul moyen d’accéder à la formation jusqu’alors réservé à l’ancienne instance. Partant, il était logique de négocier la création de cette commission là où elle n’était pas obligatoire (entreprises de moins de 300 salariés, sauf installations nucléaires et sites Seveso). Aujourd’hui, les syndicats sont pour le moins circonspects quant à l’intérêt réel des commissions SSCT.

Les marges de manœuvre des commissions SSCT sont faibles

Contrairement au CHSCT, la commission SSCT ne dispose pas d’une autonomie de décision et il lui est très difficile d’agir. Elle ne détient ni personnalité civile – d’où une impossibilité d’ester en justice – ni pouvoir délibératif : aux termes de l’article L2315-38 du Code du travail elle n’est pas consultée et ne peut désigner un expert.

De surcroît, l’employeur la contrôle étroitement. Jusqu’à présent une commission était un outil destiné à faciliter les travaux de l’instance et, à ce titre, elle était toujours présidée par un élu et exclusivement composée de représentants du personnel ou de salariés choisis par eux. Les ordonnances bouleversent ces règles : d’une part l’employeur préside la commission, d’autre part il peut s’y faire assister par autant de collaborateurs qu’il y a de titulaires (article L2315-39). Alors que le projet d’ordonnances publié le 31 août indiquait que lesdits collaborateurs ne détenaient qu’un droit consultatif, le texte définitif omet cette précision ce qui laisse place à des manœuvre d’obstruction de la part des directions.

Compte tenu de l’ensemble de ces contraintes, les représentants du personnel doivent donc prendre du recul et s’interroger avant de négocier « par principe » une commission SSCT là où elle n’est pas obligatoire.

Quels moyens pour la commission SSCT et quelles attributions lui confier ?

Le champ de la négociation est largement ouvert pour ce qui concerne les moyens de la commission SSCT : le nombre de ses membres, leur crédit d’heures et leurs formations spécifiques sont fixés par accord d’entreprise, conformément à l’article L2315-41 du Code du travail. À défaut d’accord, ils sont définis par le règlement intérieur du CSE, tout en sachant que celui-ci ne peut imposer à l’employeur des charges supplémentaires sans son accord.

Pour négocier au mieux, les élus s’appuieront sur l’obligation de préservation de la santé des salariés qui incombe à l’employeur : cette obligation doit logiquement conduire à doter la représentation du personnel des moyens qui lui sont nécessaires pour l’accomplissement de son mandat d’ordre public.

Si les moyens obtenus de l’employeur ne sont pas significatifs, l’intérêt de la commission se limite à deux points : d’une part son temps de réunion n’est pas imputé sur le crédit d’heures (article R2315-7), d’autre part le CSE peut désigner comme membres de la commission des suppléants, ce qui permettra d’éviter leur marginalisation dans un contexte où ils n’assistent aux réunions de l’instance qu’en l’absence du titulaire.

Dans un autre registre, se pose la question des attributions que le CSE confiera à la commission SSCT. De façon schématique, les options possibles sont fonction du profil de l’employeur :

  • Face à une direction qui entend réduire la commission à sa plus simple expression, les élus ont intérêt à ne lui confier qu’un minimum de prérogatives. Celles-ci se limiteront, par exemple, aux travaux sur le document unique d’évaluation des risques (DUER).
  • À l’inverse, si l’employeur  est réellement soucieux de prévention, et conscient du rôle irremplaçable des élus dans ce domaine, la commission SSCT représentera une opportunité : les négociations pourront faire bénéficier ses membres de moyens substantiels et ils pourront dès lors prendre en charge un éventail plus large de prérogatives.

(*) Olivier Sévéon vient de publier un ouvrage sur le CSE aux éditions Gereso. Il s’intitule « CSE et CHSCT : les bonnes pratiques en santé, sécurité et conditions de travail », « Guide à l’usage des élus du personnel ». Voir ici le sommaire, la présentation du livre ainsi qu’un extrait de l’ouvrage.

Source – Actuel CE