La France a été relativement généreuse quant au bénéfice de l’activité partielle durant la crise sanitaire : il s’agissait alors de donner la priorité au maintien des emplois et des entreprises. Pour autant, le CSE doit disposer des données lui permettant de vérifier que la baisse d’activité que l’entreprise évoque pour justifier le recours à ce dispositif payé par l’Unedic et l’Etat est bien réelle. Le comité doit être en mesure de donner un avis éclairé lorsqu’il est informé et consulté sur ce sujet. C’est ce qui ressort d’un arrêt du 12 mai 2022 de la cour d’appel de Versailles, qui confirme le jugement du 20 janvier 2021 du tribunal judiciaire de Nanterre condamnant la société ASF (Autoroutes du Sud de la France) : l’entreprise aurait dû communiquer aux CSE, au moins 7 jours avant la réunion de ces comités pour l’expression de leur avis, les pièces manquantes.
Dans cette affaire, la société ASF estimait avoir transmis aux CSE l’ensemble des informations nécessaires relativement à son projet de recourir à l’activité partielle. L’entreprise disait avoir communiqué aux CSE des éléments sur la baisse prévisible du trafic et de l’activité support, sur la période concernée (4 mois du 9 novembre 2020 au 9 mars 2021) et sur le nombre de salariés touchés (2 108 salariés), soit les trois éléments mentionnés dans l’article R. 5122-2 du code du travail. Ces éléments avaient été complétés par des réponses faites en réunion et par des documents supplémentaires. Le CSE central et les CSE avaient ensuite rendu un avis négatif le 23 avril et le 30 mars 2021 : pour les comités, ces éléments étaient insuffisants, d’où leur action en justice.
La cour d’appel de Versailles interprète les dispositions de l’activité partielle (article R. 5122-2 du code du travail suite au décret du 30 octobre 2020), dispositions prévoyant l’information et la consultation du CSE sur la demande de l’activité partielle, comme relevant bien de l’article L. 2312-8 du code du travail, lequel donne au CSE la mission « d’assurer l’expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail (…) ».
En dépit de la formulation assez limitative de l’art. R. 5122-2 sur l’activité partielle (1), les juges assurent que le périmètre des questions déclinées dans cet article (art. L. 2312-8) permet aux CSE « de dépasser les questions relatives aux motifs justifiant le recours à l’activité partielle, la période prévisible de sous-activité et le nombre de salariés concernés et d’aborder d’autres points intéressants, de façon plus globale, l’impact de l’activité partielle sur l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise ». Le CSE a donc droit à une information précise sur la situation de l’entreprise rendant l’activité partielle nécessaire, une information allant même au-delà de celle transmise par l’employeur à l’administration pour justifier sa demande.
En l’occurrence, le motif de la baisse du trafic automobile avancé par l’ASF est jugé par la cour d’appel « insuffisant pour expliciter le passage à un tel mode d’organisation (Ndlr : l’activité partielle) relativement aux fonctions d’entretien et de sécurité du réseau alors qu’il existe des obligations tenant à la continuité du service public autoroutier générant des charges fixes de travail sans rapport avec l’évolution du trafic ». Il en va de même, soutient la cour, pour les services support, les données invoquées restant retreintes à une courte période (18 mars 2020 au 30 juin 2020), l’entreprise refusant de communiquer d’autres informations financières et de trafic « tant que Vinci n’aurait pas consolidé et publié ses comptes ».
L’entreprise marque également plusieurs points contre elle-même lorsque, soulignent les juges, elle ne répond pas à la question des représentants des salariés « de savoir quelles tâches sont reportées, annulées ou priorisées » ou encore lorsqu’elle omet de communiquer aux CSE l’information sur « des jours d’absence déjà planifiés », information figurant dans le courrier adressé à l’administration. En outre, l’information versée dans la base de données économiques et sociales, ainsi qu’un document d’information ultérieur, apportent peu d’éléments nouveaux aux représentants du personnel.
Tous ces élements font dire à la cour que la direction ne peut pas considérer avoir répondu utilement aux questions des CSE. Les juges confirment donc le jugement du tribunal judiciaire faisant injonction à l’ASF de communiquer des pièces supplémentaires aux CSE, même si la demande de report de délai de consultation n’a plus lieu d’être après que l’entreprise a communiqué après le jugement de première instance certaines des pièces demandées et que les CSE ont rendu leur avis -négatif le plus souvent- en mars 2021.
Pour information, les pièces que l’entreprise aurait donc dû communiquer sans attendre aux CSE sont très précisément pointées. Il s’agit par exemple :
- de données économiques prévisionnelles : trafic des véhicules légers et des poids lourds, recettes péages, etc.
- d’éléments sur l’organisation du travail : liste des tâches et projets dont le report est envisagé mais aussi volume mensuel de tâches à la comptabilité et au service RH avec un comparatif de ces volumes en temps normal et lors du premier confinement;
- d’élements sur l’application de l’activité partielle par régions, établissements et par services;
- d’informations sur les activités du service support liées au trafic, etc.
(1) Cet article est assez limitatif car il prévoit l’information du CSE à partir des éléments de la demande formulée par l’employeur à l’administration : motifs justifiant le recours à l’activité partielle, période prévisible de sous-activité, nombre de salariés concernés.