La conformité d’un accord collectif aux dispositions légales et réglementaires doit être appréciée à la date de sa conclusion, et non pas à la date de son entrée en vigueur. Il en résulte que le juge peut annuler une clause conventionnelle illicite alors même que l’accord n’est pas encore entré en vigueur faute d’extension.

Aux termes de l’article L.2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent. Sur le fondement de ce texte, les syndicats qui ont participé à la négociation d’un accord collectif sont recevables à agir en nullité contre cet accord, même s’ils ne l’ont pas signé. De même, les organisations patronales sont recevables à contester la légalité d’un accord collectif si elles établissent que leurs membres sont concernés par l’accord. Enfin, tout salarié qui y a intérêt peut invoquer le caractère illicite d’une clause d’un accord qui lui est applicable. Il appartient alors à celui qui conteste la légalité de l’accord collectif de démontrer qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent.

A quelle date doit être appréciée la conformité de l’accord collectif à la loi ? A la date de sa conclusion ou à celle de son entrée en vigueur ? C’est à cette question que vient de répondre la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 23 septembre dernier.

Des dispositions non conforme au code des transports

Était en cause, en l’espèce, l’accord du 16 juin 2016 sur le temps de travail dans les entreprises de transport sanitaire (conclu dans le cadre de la convention collective des transports routiers), et plus précisément son article 10 relatif aux modalités d’enregistrement et de contrôle du temps de travail des personnels ambulanciers. La fédération nationale des transports et de la logistique Force ouvrière-UNCP contestait la légalité de cette disposition conventionnelle qu’elle estimait non conforme à l’article R.3312-33 du code des transports et à l’article 1er de l’arrêté du 19 décembre 2001 concernant l’horaire de service dans le transport sanitaire.

L’article 10 de l’accord de branche prévoit que les temps de travail des personnels ambulanciers doivent être enregistrés par tous moyens (feuille de route, pointeuse…) et que les moyens d’enregistrement doivent permettre le contrôle et le décompte des informations suivantes : heure de prise de service, heure de fin de service, heures de pause ou coupure (heure de début et de fin pour chaque pause ou coupure)lieu des pauses ou coupures (entreprise, extérieur, domicile). Le texte ajoute que lorsque les temps de travail sont enregistrés par un autre moyen que la feuille de route, ces temps doivent être validés contradictoirement.

L’article R.3312-33 du code des transports prévoit quant à lui que la durée hebdomadaire de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire est décomptée au moyen de feuilles de route hebdomadaires. L’article 1er de l’arrêté du 19 décembre 2001 dispose, dans le même sens, que les durées de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire sont décomptées au moyen de feuilles de route hebdomadaires individuelles qui précisent les horaires de début et de fin de service, l’amplitude journalière de travail en heures, les lieux et horaires de prise des repas, l’exécution de tâches complémentaires et d’activités annexes, l’heure de prise de service le lendemain et le véhicule attribué pour la première mission du lendemain avec une partie réservée aux observations et aux signatures.

Pour le syndicat Force ouvrière (FO), les dispositions susvisées prévoit donc que les durées de service des ambulanciers doivent être décomptées au moyen de feuilles de route, documents essentiels permettant notamment de décompter, de façon contradictoire, le temps de travail effectif et de vérifier les temps de repos. Or, selon ce syndicat, le système prévu par l’article 10 de l’accord de branche créé une incertitude en permettant une validation contradictoire du temps de travail et n’est donc pas conforme aux dispositions des textes réglementaires susvisés.

► Signalons d’ailleurs que lors de l’extension de l’accord du 16 juin 2016, son article 10 a été exclu de l’extension en tant qu’il est contraire à l’article R.3312-33 du code des transports et aux articles 1 et 2 (alinéa 2) de l’arrêté du 19 décembre 2001. 

La cour d’appel a fait droit à la demande de FO en jugeant les dispositions de l’article 10 de l’accord collectif illicites en ce qu’elles autorisaient le décompte du temps de travail par un document autre que la feuille de route obligatoire.

A l’appui de leur pourvoi, les organisations patronales du secteur soutiennent que la demande de FO est dépourvue d’objet car ce n’est qu’à la date d’entrée en vigueur de l’accord, et non à sa date de conclusion, qu’une éventuelle contrariété avec les dispositions réglementaires peut être appréciée. Or, expliquent-elles, l’article 18 de l’accord prévoit que ses dispositions » entreront en application le 1er jour du mois civil suivant la parution de son arrêté d’extension au Journal officiel, sans que cette date ne puisse revêtir un caractère obligatoire avant le 3 avril 2017″. Pour les organisations patronales, l’arrêté d’extension n’étant pas paru au jour où la cour d’appel statuait, l’accord n’était pas encore entré en vigueur. Selon elles, la cour d’appel ne pouvait donc pas déclarer les dispositions de l’accord contraires à l’article R.3312-33 du code des transports en vigueur lors de la conclusion de l’accord, alors que ce dernier n’était pas entré en vigueur à la date à laquelle elle statuait. Elles ajoutent que les parties à l’accord du 16 juin 2016 avaient par ailleurs pris soin de demander au ministre une évolution de la réglementation applicable en matière de contrôle du temps de travail dans le secteur du transport sanitaire.

La légalité de l’accord s’apprécie au jour de sa conclusion

Raisonnement censuré par la Cour de cassation : elle décide que le juge saisi d’un recours en nullité contre les conventions ou accords collectifs apprécie leur conformité au regard des dispositions légales et réglementaires en vigueur lors de la conclusion de ces conventions ou accords, et non lors de leur entrée en vigueur.

En l’espèce, la cour d’appel a donc valablement retenu que les dispositions de l’article 10 de l’accord de branche, qui autorisaient le décompte du temps de travail des ambulanciers par un autre document que la feuille de route obligatoire, étaient illicites car non conformes aux dispositions réglementaires applicables à la date de sa conclusion. Et ce, peu important que les partenaires sociaux aient prévu une entrée en vigueur de l’accord après son extension et qu’ils aient demandé au ministre une évolution de la réglementation applicable.

► La cour d’appel a relevé, d’une part, que les moyens d’enregistrement permettant le contrôle du temps de travail envisagés par l’accord collectif ne reprenaient pas toutes les informations contenues dans la feuille de route rendue obligatoire par les dispositions réglementaires et, d’autre part, que la procédure de validation contradictoire des temps de travail lorsqu’ils étaient enregistrés par un autre moyen que la feuille de route ne permettait pas de vérifier que les modalités choisies offriraient autant de garanties que la feuille de route, la définition d’un modèle unique de feuille de route applicable à l’ensemble des salariés du secteur évitant pour les intéressés toute incertitude sur les modalités de décompte de leurs temps de travail.

C’est donc bien au moment de sa conclusion que doit s’apprécier la conformité d’un accord collectif aux dispositions légales et réglementaires, quelle que soit sa date d’application. L’application de cette règle peut, comme en l’espèce, conduire à l’annulation d’une disposition conventionnelle alors même qu’elle n’est pas encore entrée en vigueur.

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