Dans le cadre du service de renseignement juridique par téléphone du groupe Lefebvre Sarrut (le groupe dont font partie Les Éditions Législatives qui éditent actuEL-CSE.fr), les juristes d’Appel Expert sont souvent sollicités par des élus du personnel. Nous avons eu l’idée de leur demander de choisir trois questions qui leur ont été soumises et d’y répondre. Voici leur sélection pour ce mois de juillet 2020.
Question n°1
« Un employeur peut-il demander aux élus de CSE de signer une clause de confidentialité ? «
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► La réponse de Florian Erard, juriste à l’Appel Expert
► La motivation de la réponse
A deux reprises, cette question m’a été posée récemment. Elle n’a pourtant pas trop de sens ! En effet, l’article L.2315-3 du code du travail prévoit déjà deux obligations pour les élus du personnel : une obligation de secret professionnel, et une obligation de discrétion à l’égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur. Aucune clause supplémentaire signé par des élus n’est donc nécessaire. Pourquoi dès lors demander une telle clause de confidentialité ? Peut-être l’employeur ne connaît-il pas ces dispositions légales et il souhaite « simplement » se prémunir. Peut-être est-il au courant des règles mais il souhaite aller plus loin en généralisant l’obligation de confidentialité à tout ce qui sera dit en réunion, ce qui revient à restreindre le droit de communication des élus vers le personnel. Une telle clause paraît assez peu envisageable, et sa légalité me semble problématique, car un tel document restreindrait les droits des membres du CSE et porterait atteinte au sens même de leur mandat : les représentants du personnel sont là pour représenter le personnel mais aussi pour communiquer auprès des salariés les informations qu’ils peuvent recueillir en réunion avec l’employeur, c’est d’ailleurs tout l’objet des procès-verbaux. Les élus ont donc le droit, bien sûr, de refuser de signer une pareille clause. D’autant que signer une telle clause signifierait accepter une modification de leur contrat de travail. Et un employeur ne pourrait pas sanctionner un élu qui refuse une modification de son contrat de travail.
Question n°2
« Un avantage offert aux salariés par un employeur peut-il être revendiqué par le CSE au titre de ses ASC, ses activités sociales et culturelles ? «
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► La réponse de Florian Erard, juriste à l’Appel Expert
► La motivation de la réponse
Après avoir, pendant plusieurs années, fait bénéficier ses salariés de cafés gratuits, un employeur décide d’arrêter cette pratique. Le CSE souhaite savoir s’il peut revendiquer que l’employeur verse au budget des activités sociales et culturelles (ASC) du comité le montant versé jusqu’alors pour la fourniture de cafés. Autrement dit, un avantage accordé par un employeur pendant des années peut-il être revendiqué par le CSE ? Pour répondre à cette question, il faut déjà se demander si l’avantage qui était accordé par l’employeur rentrait bien dans la définition des activités sociales et culturelles. Trois points sont à vérifier. D’abord, il faut que cet avantage ait été accordé par l’employeur sans que celui-ci en ait eu l’obligation. Ici, permettre aux salariés de prendre un café gratuitement ne fait effectivement pas partie des obligations légales que l’employeur doit respecter. La deuxième condition pour caractériser une ASC, c’est que l’activité doit contribuer à l’amélioration des conditions de vie et de travail des salariés. Ici aussi, l’attribution d’un café me semble entrer dans ce cas de figure. Enfin, troisième condition : l’avantage ne doit pas être accordé en contrepartie d’un travail ou d’un résultat. Et là encore, notre café gratuit n’est pas une contrepartie à un travail ni un élément de rémunération. Donc, nous sommes en présence d’une activité sociale et culturelle. Maintenant, le CSE peut-il revendiquer que la somme consacrée jusqu’alors par l’employeur à la fourniture de ces cafés lui soit versée ? Pour la détermination du budget des ASC que verse l’employeur au CSE, on prend en compte les sommes que versait l’employeur pour ces ASC durant l’année précédente. Il faut toutefois, nous dit la jurisprudence, écarter les dépenses temporaires (par exemple, une année un employeur prend exceptionnellement en charge l’installation d’un court de tennis et cela ne se reproduira pas), et il faut aussi ne pas tenir comptes des dépenses liées à des besoins qui ont disparu. On peut raisonnablement penser qu’on n’est pas dans ces cas de figure. Donc, au final, le CSE, au titre de son prochain budget, pourrait en effet demander à l’employeur de verser au comité l’équivalent de ce qu’il dépensait pour les cafés fournis gracieusement aux salariés. Si l’employeur refuse, le CSE peut faire une action en justice. Encore faut-il que le jeu en vaille vraiment la chandelle !
Question n°3
« Les heures de délégation sont-elles rémunérées lorsqu’elles sont utilisées par un élu en arrêt maladie ? «
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► La réponse de Florian Erard, juriste à l’Appel Expert
► La motivation de la réponse
J’ignore si la question est liée ou pas au Covid-19 mais elle me semble intéressante. Rappelons tout d’abord que l’arrêt maladie n’entraîne pas la suspension du mandat de l’élu du personnel, et donc que l’employeur est toujours tenu de convoquer l’élu pour les réunions. Le salarié peut-il pour autant utiliser ses heures de délégation et se les faire rémunérer ? Nous avons sur ce point deux jurisprudences importantes pour nous éclairer. La première est un arrêt du 9 décembre 2010. La Cour de cassation nous dit que « l’exercice prolongé et répété d’une activité de représentant du personnel est incompatible avec la perception des indemnités journalières ». Autrement dit, si un élu du personnel utilise ses heures de délégation pendant un arrêt maladie, il s’expose à ce que la Sécurité sociale lui réclame le remboursement des indemnités journalières qui lui ont été versées. La deuxième jurisprudence à connaître sur ce sujet date du 21 mars 2014. Pour que les heures de délégation utilisées pendant la maladie soient indemnisées par l’employeur, nous dit cet arrêt important de la Cour de cassation, il faut que le médecin traitant du salarié ait clairement déclaré que l’état de santé du salarié permet à celui-ci de mener une activité de représentant du personnel. Si le salarié ne dispose pas de cette attestation, l’employeur n’a donc pas l’obligation d’indemniser les heures de délégation. On peut donc imaginer une « double peine » pour le salarié en arrêt qui pourrait perdre à la fois ses indemnités journalières mais aussi ne pas être indemnisé par l’employeur faute d’attestation de son médecin. Que pouvons-nous en conclure ? Il est certes possible d’utiliser ses heures de délégation pendant un arrêt maladie, car rien ne l’interdit, mais compte-tenu du risque de perdre ses indemnités journalières et son indemnisation d’élu, je suggère toutefois d’éviter cela, ou tout au moins de n’y recourir que très ponctuellement, faute d’autre solution. Ajoutons que les heures de délégation peuvent s’échanger entre élus, et qu’il semble logique de laisser le suppléant jouer son rôle si l’élu est malade.